Miraculeux Roméo et Juliette à l’Opéra Comique
Soir de première aussi singulier que mémorable à l’Opéra Comique alors qu’un couple de chanteurs totalement imprévu a tenu les deux rôles principaux du Roméo et Juliette de Gounod : Perrine Madoeuf et Pene Pati ont sauvé in extremis la représentation et ont reçu à juste titre une longue et chaleureuse ovation.
La folle reprise pandémique de cette fin d’année bouscule à nouveau les théâtres et les artistes après une saison déjà particulièrement difficile, si bien qu’on a vu dernièrement s’enchaîner plusieurs annulations ou modifications de spectacles. Sans défaitisme, l’Opéra Comique continue de tout mettre en œuvre pour maintenir son activité en dépit du contexte covidien et a triomphé hier de l’adversité en proposant une des soirées lyriques les plus exaltantes qu’il puisse être donné de voir. Le rideau à peine retombé sur les cadavres des amants shakespeariens revisités par Charles Gounod, le public, en liesse, a longuement clamé son enthousiasme.
Testés positifs à la Covid-19, les chanteurs titulaires Julie Fuchs et Jean-François Borras, obligés de renoncer à la série de représentations pour laquelle ils avaient répété, ont été remplacés au pied levé par un duo étincelant, éperdument engagé tant sur le plan vocal que scénique. Après moins d’une demi-journée de répétition, Pene Pati et Perrine Madoeuf ont donné le meilleur et assuré le spectacle avec un panache et une fulgurance qui ont même quelque peu éclipsé certains seconds rôles d’une inégale solidité.
Le ténor samoan Pene Pati a campé un prodigieux Roméo en faisant montre d’une formidable aisance, d’une élégance et d’une fraîcheur vocales ô combien séduisantes. La voix est claire et solaire dans l’aigu comme dans toute la tessiture, le souffle est généreux et parfaitement maîtrisé, ainsi que la diction et l’émission. Perrine Madoeuf a interprété une Juliette passionnante et passionnée. Loin de la frêle et pure innocente, même perchée en haut d’une tour tel un ange statufié, mais bien plutôt vibrante et corsée. Avec de puissants moyens, elle s’abandonne entièrement au rôle et touche infiniment. Ainsi, les deux solistes ont fait merveille sous la direction vive et preste de Laurent Campellone et dans la mise en scène lumineuse et limpide d’Eric Ruf qui signe aussi les décors, d’une grande beauté.
L’administrateur de la Comédie-Française revisite et adapte pour l’opéra le travail qu’il a réalisé au théâtre sur le texte de Shakespeare en 2015. Sur scène, il rebâtit la superbe façade d’un palais italien fier et austère qui exhibe les vestiges de son faste d’antan. Les murs défaits par l’usure et mouvants forment un écrin d’un blanc nuptial comme sépulcral, qui éclairé d’une guirlande ou de l’aube blafarde, se présente comme une salle de bal ou une place publique dynamisées par les membres du Chœur accentus / Opéra de Rouen Normandie, excellents même masqués. Des espaces plus intimistes se dessinent comme la chapelle ou la chambre, tandis que, à l’heure de l’issue fatale des amants maudits, les cloisons hautes de pierres froides sont celles d’un imposant mausolée.
En fosse comme sur scène, ce Roméo et Juliette paraît d’abord un peu prosaïque – drôle d’idée que de planter la rencontre des amoureux devant les lavabos des toilettes carrelées de la salle de réception – , mais très vite s’emballe et s’intensifie une force poétique et dramatique qui saisit. Musicalement et théâtralement, l’approche vivifiante et pleinement émotionnelle de l’œuvre a pour mérite de s’écarter d’une lecture sentimentale et grandiloquente un peu trop facile et assez clichée. En harmonie avec la vision défendue au plateau, l’orchestre aux sonorités chaudes, rondes et pleines, ne cédera pas la place à un romantisme sirupeux. Se déploient plutôt un souffle ardent, des accents vifs et fiévreux, parfois violents, des tempi effrénés et échevelés, des coloris expressifs et contrastés qui dépassent le sentimentalisme de la partition de Gounod. Alors que les aléas énoncés ne permettaient sans doute pas de l’envisager, cette représentation a tout eu d’une très grande soirée.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Roméo et Juliette de Charles Gounod
Direction musicale, Laurent Campellone
Mise en scène et scénographie, Éric Ruf
Avec Pene Pati, Perrine Madoeuf, Patrick Bolleire, Adèle Charvet, Philippe-Nicolas Martin, Jérôme Boutillier, Marie Lenormand, Yu Shao, Yoann Dubruque, Geoffroy Buffière
Choeur accentus
Orchestre de l’Opéra de Rouen-Normandie3h (entracte inclus)
Opéra Comique
du 13 au 21 décembre 2021
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