Et si le corpus dramatique de Shakespeare avait été écrit en réalité par une femme, la brillante Mary Sidney ? Sous la forme d’une conférence théâtrale, Aurore Evain adapte l’enquête passionnante de Robin P William, une chercheuse américaine.
Et si Shakespeare n’était pas l’auteur de la considérable œuvre dramatique qu’on lui attribue ? L’une des plus riches qui soit à ce jour et qui plus est encore maintes fois jouée sur les scènes du monde entier sans que jamais on n’ai imaginé mettre en question son auctorialité pourtant douteuse. Toucher au monument Shakespeare, c’est déboulonner la statue du Commandeur, une entreprise sacrément audacieuse et osée. Oui, remettre en cause la paternité littéraire de l’œuvre shakespearienne serait un sacrilège si ce n’est le sérieux et la rigueur du travail remarquable de deux femmes aux antipodes a priori. D’un côté Robin P. William, chercheuse indépendante américaine, autrice remarquée de best sellers sur l’art graphique, l’informatique ou encore internet et… de l’essai “Sweet Swan of Avon : Did a woman wrote Shakespeare ?”. De l’autre, l’autrice féministe Aurore Evain, à la tête de la compagnie La Subversive, l’une des plumes de l’ouvrage collectif “Me Too Théâtre”, également à l’origine des Journées du Matrimoine et artiste associée au CDN de Montluçon.
A la découverte du livre de la première, la seconde s’en empare, le traduit, l’adapte, ajoute son grain de sel personnel et la voici face à nous 2h10 durant, en un binôme rebondissant avec la comédienne Fanny Zeller, espiègle et gouailleuse – une nature comme on dit, pour nous en partager les lumières sous la forme d’une conférence-spectacle menée tambour battant. “Mary Sidney alias Shakespeare” est une enquête absolument renversante, instructive et passionnante qui n’entend pas prouver mordicus son hypothèse mais du moins la poser comme vraisemblable et c’est déjà beaucoup.
La démonstration vaut son pesant d’or, la structure du spectacle, chapitré comme un livre, épouse la dynamique de la recherche et ses différents terrains de fouille. Comme en archéologie, il s’agit de creuser, d’exhumer les indices, de recouper et comparer, d’archives en sources diverses, les biographies respectives de l’illustre William Shakespeare et de la mystérieuse Mary Sidney, contemporains l’un de l’autre dans l’Angleterre élisabéthaine, mais également de ramoner de fond en comble le vaste corpus de pièces (soit disant) shakespearien, son vocabulaire, ses thématiques récurrentes, le large éventail d’expériences humaines qu’il contient, ses références savantes et maîtrisées, qu’elles appartiennent au domaine de la littérature, de la musique, de la politique, de la médecine, de la fauconnerie ou du jeu de boule…
Face public, en adresse directe, chacune à son pupitre avec ses notes, Aurore Evain et Fanny Zeller, complémentaires et complices, se renvoient la balle avec entrain et nous entraînent dans ce fascinant marathon qui passe au peigne fin l’Histoire. Il ne s’agit pas d’un spectacle en bonne et due forme, on est ici clairement dans le registre assumé de la conférence mais, à la mise en scène, Aurore Evain lui insuffle une théâtralité, certes légère mais bienvenue. Décor-écrin composé de projections sur paravent, miroir, costume clin d’œil à l’époque, les images s’invitent parcimonieusement en respiration dans ce flot verbal exigeant qui réclame notre attention la plus soutenue mais sait aussi être joueur pour nous oxygéner.
Ce spectacle est une mine, il nous tient en haleine de bout en bout et opère une véritable déflagration intellectuelle. Car ce que l’on tenait pour acquis, sans même douter de son bien fondé, est ici mis à mal le temps d’une démonstration solide et méticuleuse, étayée d’un réseau d’arguments imparables. Comment ne pas croire alors à cette révélation ? Le sol tremble sous nos pieds, et toute la littérature avec, comme en son temps, lorsque Galilée renversa l’ordre du monde et la place de l’homme en son sein. Et l’on sort de cette traversée effrénée, enchantée d’avoir approché d’un peu plus près l’existence de cette femme “sédicieuse, secrète, révolutionnaire”, exceptionnellement intelligente et cultivée, que l’Histoire n’aura pas retenu jusque là. C’était sans compter sur le relais d’Aurore Evain qui fait du plateau le théâtre d’une transmission indispensable et salutaire, vertigineuse et réjouissante.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Mary Sidney, alias Shakespeare de Aurore Evain, d’après l’essai de Robin P. William, Sweet Swan of Avon : Did a Woman Wrote Shakespeare ?
Traduction, adaptation et mise en scène : Aurore Evain
Avec Aurore Evain et Fanny Zeller
Collaboration artistique : Isabelle Gomez
Scénographie & vidéo : Carmen Mariscal assistée de Miguel Muzquiz
Création Motion Design et Postproduction : Célian Hurtado, Carl Vaunac
Costumes : Tanya Artioli
Création Lumière : Jean-Michel Wartner
Régie Lumière : Patricia Garcia
Durée : 2h10
A partir de 16 ansThéâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie
Du 08 septembre au 25 septembre 2022
Du jeudi au samedi à 19h
Samedi et dimanche à 14h30
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