Pour sa première édition en tant que directrice du Théâtre Dijon Bourgogne, Maëlle Poésy redessine les frontières du festival dijonnais. Historiquement centré sur l’émergence, il s’ouvre désormais davantage sur la ville, l’international et les écritures pluridisciplinaires. La preuve par deux exemples.
S’approprier sans dénaturer, tel est le défi qui s’impose à Maëlle Poésy pour sa première édition de Théâtre en Mai. Véritable coup d’envoi du projet artistique qu’elle souhaite mettre en place au Théâtre Dijon Bourgogne, dont elle a pris les commandes le 1er septembre dernier, cette manifestation emblématique, qui se tient cette année du 19 au 29 mai, constitue un héritage précieux des directions précédentes. Historiquement centré sur l’émergence, ce festival donne une belle occasion à la jeune directrice de présenter au public dijonnais le travail de ses nouveaux artistes associés – les metteurs en scène Yngvild Aspeli, Tamaraa Al Saadi, Julie Bérès et David Geselson, ainsi que les auteurs Julie Ménard, Gustave Akakpo et Kévin Keiss –, mais aussi de tenter de l’enrichir, d’en redessiner les frontières et de promouvoir une plus large, et judicieuse, ouverture sur la ville, l’international et les écritures pluridisciplinaires.
De ce triple objectif, Kites est, sans doute, l’un des meilleurs symboles. Donné au Consortium Museum, du 21 au 23 mai, ce triptyque de la chorégraphe, comédienne et performeuse irano-hollandaise Roshanak Morrowatian enchevêtre une exposition de photographies (Hide and Seek) réalisée avec l’artiste Afagh Morrowatian autour de la figure de l’enfant déplacé, un solo « interdisciplinaire » qui prend place dans un camp de réfugiés, et une installation-performance, Sister, où, pendant plusieurs dizaines de minutes, la sculpture en cire d’une jeune fille, grandeur nature, fond sous l’effet combiné de plusieurs projecteurs allumés à pleine puissance. Si les extraits des deux premiers volets de cette proposition manquent de substance et de contextualisation, le dernier s’impose comme une expérience hors des sentiers battus, inspirée du vécu de Roshanak Morrowatian qui avait dû, elle-même, fuir l’Iran avec sa famille.
A première vue déroutante, tant elle oblige à déposer les armes pour se laisser transporter et, peu à peu, envoûter, cette performance plastique trouve tout son sens dans l’immense liberté qu’elle offre aux spectateurs. Face à la figure de cette fillette en habits traditionnels, entourée par un environnement sonore mouvant, des cris d’un jardin d’enfants aux murmures d’un bateau sur la mer, en passant par les bruits menaçants de la ville, chacun pourra donner à sa fugue immobile les contours qu’il souhaite, voir dans la cire qui se délite un torrent de larmes cruelles ou un flot de sueur corrosive, projeter dans le visage enfantin qui se décompose au fil du temps un renard, un loup, voire un ersatz d’Anubis, et songer, alors, au regard que les Occidentaux portent sur les réfugiés, perçus, et traités, comme une menace plutôt qu’en êtres humains.
Artistiquement plus formelle, la création de Maëlle Poésy, Gloire sur la Terre, n’en reste pas moins inédite à l’échelle de Théâtre en Mai. Pour ce premier projet en tant que directrice du Théâtre Dijon Bourgogne, la metteuse en scène a pris le risque de conquérir l’espace public et de s’installer, du 22 au 26 mai, dans un nouvel écrin, la majestueuse Cour de Bar du Palais des Ducs et des Etats de Bourgogne. Au crépuscule, elle transforme une partie de ce lieu historique en ring de boxe, où six jeunes comédiennes et comédiens fraîchement diplômés de l’Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes et de l’Ecole de la Comédie de Saint-Etienne, et membres du dispositif d’accompagnement du TDB, s’adonnent, en un chœur dual, à une joute verbale, vectrice de la lutte sans merci que se livrent Marie Stuart, tout juste rentrée de France, et John Knox, père de la Réforme de l’Eglise écossaise, et, à travers eux, les catholiques et les protestants.
Si le texte de l’autrice Linda McClean peine à atteindre la brillance et la clarté du Marie Stuart de Schiller, il vaut, malgré tout, pour la matière à jouer qu’il offre à Margaux Dupré, Lise Hamayon, Suzanne Jeanjean, Roméo Mariani, Alexis Tieno et Sébastien Weber. De ce combat contre l’obscuranstisme et le fanatisme, ils font un énergique tourbillon scénique, où femmes et hommes semblent, enfin, à armes égales. Surtout, ils profitent de cette scène extérieure qui, naturellement, au gré du temps changeant, les met sous haute pression, et leur accorde, à intervalles réguliers, des cadeaux inespérés, à l’image des tintements des cloches des églises avoisinantes, d’une telle précision dramaturgique qu’elles semblent avoir été réglées pour l’occasion. Et rappellent alors, par la bande, le poids du religieux dans l’histoire de nos sociétés.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Festival Théâtre en Mai
du 19 au 29 mai 2022
Programme complet à retrouver sur le site du Théâtre Dijon Bourgogne.
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