Temps fort du festival MARTO (10-26 mars 2022) dédié aux arts de la marionnette et au théâtre d’objet, la Nuit de la marionnette du Théâtre Jean Arp à Clamart a connu une belle 12ème édition largement tournée vers la fiction, centrée sur tantôt sur des figures anonymes, tantôt sur des mythes. Les incursions de l’actualité, du réel, n’en furent que plus fortes.
Après une édition 2020 perturbée pour cause de travaux et une édition 2021 annulée, la Nuit de la Marionnette fêtait cette année ses retrouvailles avec le Théâtre Jean Arp de Clamart, qui a ainsi pu faire profiter les noctambules férus de marionnettes et de théâtre d’objet de sa nouvelle jeunesse. L’année d’interruption n’a pas eu raison du grand appétit et de la curiosité de ce public pour toutes les formes où le vivant côtoie l’inanimé, où il se confond avec lui : les treize spectacles au programme ont su le retenir de 20h jusqu’au petit matin. Comme à chaque édition, la grande diversité des formats et des esthétiques, ainsi que la présence d’artistes déjà renommés dans leur domaine autant que de talents plus émergents confidentiels furent les ingrédients d’une grande Nuit.
L’objectif de l’événement, orchestré pour la première année par Christian Lalos – à l’initiative du Grand Paris, le Théâtre de Châtillon qu’il dirigeait déjà et le Théâtre Jean Arp ont été fusionnés – étant d’offrir la traversée la plus riche possible des arts de la marionnette et de l’objet, les sujets abordés par les différents spectacles au programme étaient très divers. Quelques lignes, quelques récurrences ont toutefois donné une couleur singulière à l’édition. Alors que la précédente Nuit affichait une personnalité assez politique, ancrée au réel avec des pièces telles que le cabaret marionnettique transgenre Hen de Johanny Bert ou encore Camarades, second volet d’un triptyque de la Compagnie Les Maladroits consacré à l’engagement, aux utopies et à l’héritage, celle du 12 mars 2022 était plutôt placée sous le signe de l’imaginaire, de la fiction.
Des mythes très persos
Débridé, romantique ou encore onirique, cet imaginaire a à plusieurs endroits de la Nuit emprunté la voie du mythe. Et ce dès le spectacle d’ouverture, dont nous avons déjà parlé ici au moment de sa création au Théâtre des Quartiers d’Ivry : l’hypnotique Dracula d’Yngvild Aspeli. Pour l’occasion, la marionnettiste a toutefois transformé son ballet très visuel pour victimes et voraces agresseurs au point de le présenter comme une recréation. Fait de déclinaisons autour des mêmes motifs, la morsure et la transformation, ce spectacle tout désigné pour ouvrir une Nuit de la marionnette a trouvé son rythme : il assume davantage sa lenteur, ses répétitions. Grâce à l’ajout d’un nouveau personnage de narrateur et une parole plus dense accordée à la figure de la victime, le récit se fait aussi plus clair. Il se laisse ainsi mieux saisir par les sens. Car plus que l’intellect, ce sont eux que cherche à solliciter Yngvild Aspeli avec sa pièce sur le mythique « prince de la nuit ».
Cette pièce est l’une des trois qui ont rassemblé tous les spectateurs de la Nuit, divisés par ailleurs en plusieurs groupes qui tous pouvaient au moins dix des treize propositions au programme. Présentées dans la grande salle du théâtre, ce Dracula ainsi que Loco de la compagnie Belova-Iacobelli et Sueño de la compagnie Singe Diesel furent les formes les plus imposantes de la traversée. Dans d’autres salles du théâtre, ainsi qu’au Conservatoire de Clamart où ont aussi eu lieu de plusieurs représentations, d’autres grands mythes ont pourtant été explorés. De leur économie de moyens, les compagnies en question ont su faire une force. Chacune avec ses matières et techniques, elles ont rempli notre Nuit de mythes faits maison, destinés à se jouer partout. Dans Mytho Perso par exemple, Myriam Gauthier de la compagnie Les Becs Verseurs n’a besoin que d’une table et de quelques couverts en plastique pour donner une conférence sur la mythologie grecque… Et sur sa propre famille, qu’elle compare sans complexes avec les habitants du Mont Olympe.
Conquêtes et combats
Plus les moyens employés par les artistes pour se confronter aux mythes sont dérisoires et saugrenus, plus la Nuit s’illumine. Star Show de la compagnie Bakélite fait partie de ces pièces qui avec très peu d’objets, mais très détournés de leurs fonctions habituelles, s’empare d’un grand sujet : la conquête spatiale. Seul en scène, le fondateur de la compagnie, le metteur en scène et comédien autodidacte Olivier Rannou n’a guère besoin de plus d’objets que Myriam Gauthier pour raconter son aventure. Et il se contente de beaucoup moins de mots : à la limite, « control » pourrait lui suffire. Il le répète alors que son personnage d’astronaute en bonnet de bain ne contrôle rien du tout. Sur une table de carrelage ingénieusement conçue par Alan Floc’h, l’aventurier déploie son périple d’Icare moderne en plaçant une version miniature de lui-même dans toutes sortes d’équipages bricolés à vue à partir d’objets du quotidien. Tout en autodérision, ce Star Show revisite l’imagerie de la conquête spatiale : si quelques traces d’héroïsme y subsistent, c’est d’une manière bien drôle et résiduelle.
Avec Mulan, Ornella Mamba affirme au contraire avec force la bravoure de sa protagoniste. Dernier volet d’un triptyque intitulé Héroïne, la pièce raconte le parcours de la guerrière chinoise éponyme grâce à différentes techniques : pop-up, jeux d’ombres avec encre et masques et marionnette. Pour une forme si courte – une vingtaine de minutes –, cette pluralité des langages a tendance à écraser le sujet traité. Très fin, le travail sur l’ombre et l’encre aurait certainement mérité d’être davantage placé au centre de cette pièce qui nous mène en Chine médiévale. Portant tous les traces de leur fabrication, ces voyages ont beau être lointains, ils nous ramènent toujours au présent de la représentation, notamment aux problèmes qui le traversent.
Révéler l’invisible
Deux interventions réalisées par des artistes ont placé le réel au cœur de cette Nuit très imaginaire. Dès la fin de Dracula, des élèves de la 13ème promotion de l’École Supérieure Nationale des Arts de la Marionnette (ESNAM) à Charleville-Mézières sont montés sur scène pour exprimer leur inquiétude. Après le départ brutal de leur directrice pédagogique, non reconduite dans ses fonctions après sa période d’essai, le poste a n’a été repris qu’en intérim par deux personne ayant déjà des emplois à temps plein. La démission du directeur de l’ESNAM, qui sera effective en juin 2022, inquiète aussi beaucoup les élèves, non seulement pour leur formation personnelle, mais aussi pour l’avenir de leur discipline dont la structuration en cours a besoin de s’appuyer sur une formation solide. La deuxième intervention n’a pas de rapport avec le milieu de la marionnette. D’origine russe, la jeune Marina Simonova, parrainée par Yngvild Aspeli, a demandé la parole à la fin de son solo Le Mémorieux pour dire non à la guerre. Non au massacre du peuple ukrainien par le gouvernement russe.
Revisiter des mythes, des légendes, peut être une façon pour certains artistes d’exprimer une colère. D’autres préfèrent pour cela se situer du côté de l’invisible, de l’anonyme. C’est le cas des deux spectacles présentés après Dracula dans la grande salle du Théâtre de Clamart. Dans Loco, la compagnie Belova-Iacobelli fait le portrait du fonctionnaire Poprichtchine de la nouvelle Le Journal d’un fou de Gogol. Manipulée par Tita Iacobelli et Natacha Belova, la marionnette de l’employé de bas échelon incarne subtilement une figure solitaire, fragile, dans un monde régi par des lois absurdes. C’est avec une autre figure de marginal, un aveugle pauvre et lui aussi solitaire, que s’est achevée cette belle Nuit : dans Sueño, le fondateur de la compagnie Singe Diesel, Juan-Perez Escala, incarne un non-voyant dont le handicap se transforme en force. Faute de voir le monde, son personnage s’en invente un, peuplé de créatures imaginaires. Voilà un bel exemple à suivre en attendant la prochaine Nuit.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Toute la programmation du festival MARTO sur http://www.festivalmarto.com/
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !