Le 6 mai, Emmanuel Macron a dévoilé ses premières mesures pour la relance de la culture. S’il faut saluer une avancée en matière sociale pour les intermittents, les notions de temps nécessaire pour la création et la nécessité de repenser en profondeur le secteur ne furent pas au rendez-vous. Au grand regret de nombreux artistes.
La mobilisation menée depuis plusieurs semaines en faveur d’une « année blanche » pour les intermittents ont fini par porter leurs fruits. Les droits des intermittents, annonçait Emmanuel Macron le 6 mai, seront prolongés de 12 mois, jusqu’à fin août 2021. Pour l’auteure, metteuse en scène, chanteuse lyrique et comédienne Vanasay Khamphommala et pour l’auteure et metteuse en scène Pascale Henry, c’est là le seul point positif du « plan pour la culture » esquissé par le Président et le ministre de la Culture. Le metteur en scène et comédien Gaël Leveugle est plus méfiant. « On nous annonce le prolongement de notre couverture sociale, mais de quel ordre sera-t-il ? Sera-t-on pleinement couverts, ou ne recevra-t-on qu’une indemnité forfaitaire ? On est en droit de douter ». Son fin décryptage de l’annonce du gouvernement lui offre toutefois deux satisfactions : « on remarque que le régime de l’intermittence n’est pas associé à une idée de privilège, comme il l’a longtemps été. Le fait d’affirmer que les intermittents travaillent bien au-delà et en dehors de leurs emplois est aussi très appréciable », dit-il. À chaud, le bilan positif s’arrête à peu près là pour les trois artistes interrogés dans le cadre de cet article.
Un « plan » sans transition
L’annonce de la mise en place de nombreux « projets qui permettront à tous ces artistes et techniciens de ne pas activer ces dispositifs » expliqués plus tôt sont loin d’avoir sur nos interlocuteurs l’effet euphorique peut-être escompté par Emmanuel Macron. Le vaste programme de commandes publiques – « Je veux qu’on mette le paquet », a-t-il insisté – évoqué dans la perspective d’un « été apprenant et culturel » peut en effet être perçu comme une manière autoritaire d’imposer le retour à un modèle productiviste, libéral, dont la crise actuelle a montré les limites. « La nécessité de la transition culturelle, de décroissance, est totalement absente du discours présidentiel », regrette Vanasay Khamphommala. « Le temps de la recherche, nécessaire pour inventer des modèles de fonctionnement des institutions et des formes artistiques adaptés à la situation, n’est pas pris en compte », poursuit-il.
L’appel à « inventer une saison hors-norme », à « aller chercher des gens qui ne viennent jamais, à faire de la limitation des jauges une capacité à inventer de nouveaux rapports » sonne pour Pascale Henry comme une « injonction supplémentaire pour les artistes à se faire les pompiers du social ». « C’est oublier la part esthétique de notre métier, et la difficulté à l’exercer avec les contraintes sanitaires qui vont nous être imposées. C’est occulter aussi la part du corps et de la rencontre dans nos pratiques, qu’il va nous falloir du temps pour repenser ». Pour Gaël Leveugle, la posture autoritaire du président et du ministre de la Culture témoigne aussi d’une ignorance ou d’une indifférence des « paroles très politiques qui voient le jour ces semaines-ci dans notre secteur. Ces trésors de crise qui mettent en avant un désir de repenser les rapports de pouvoir sont pourtant l’une des rares choses dont on puisse se réjouir ! ». Les pistes de réflexions élaborées par des artistes pour des États Généraux du spectacle vivant, par exemple, sont pour l’artiste une perspective bien plus heureuse que la « saison hors-norme » et le « paquet » décidés en haut lieu.
La radicalité contre la « colonie de vacances »
L’accent mis dans le discours présidentiel sur le lien entre art et éducation a aussi très vite fait frémir une grande partie de la profession sur les réseaux sociaux. « On va avoir besoin d’intermittents, d’artistes partout en France, maintenant. J’ai besoin de gens qui savent faire des choses, à inventer pour les jeunes. Utilisons cette période pour faire une révolution de l’accès à la culture et à l’art », retient-on par exemple. Ce que Pascale Henry traduit par un appel à « réinventer les colonies de vacances ». Associée au Théâtre des Ilets à Montluçon et au Théâtre municipal de Grenoble avec qui elle et d’autres artistes dialoguent sur le sujet, son désir se dirige plutôt vers l’invention de manières nouvelles d’ouvrir ces théâtres. « Nous savons que nos maisons accueillent essentiellement un public aisé. Pourquoi ne pas tenter de les mettre au service des luttes économiques et sociales actuelles, comme le suggère Matthias Langhoff dans sa lettre qui a beaucoup circulé ces jours-ci ? ». Gaël Leveugle défend lui aussi cette idée de convergence des luttes. « Pour commencer, les droits reconnus aux intermittents doivent l’être à toutes les professions intérimaires liées au spectacle vivant, dans la restauration, l’hôtellerie, les petits commerces… », dit-il.
Pour répondre artistiquement à la situation, Vanasay Khamphommala juge que seuls des gestes radicaux sont pertinents. Ayant refusé comme Pascale Henry et Gaël Leveugle de nourrir la foisonnante vidéosphère du confinement, et défiant l’injonction présidentielle à créer en vase clos en vue de productions numériques, l’artiste associé aux CDN de Tours et au TnBA a préféré imaginer une performance, Je viens chanter chez toi toute nue en échange d’un repas, qu’elle va proposer à Tours dès le déconfinement. « Il s’agit de revenir aux fondamentaux – chanter, manger –, pour interroger les formes possibles de pratiques culturelles aujourd’hui ».
Vanasay Khamphommala poursuit ainsi la recherche d’une économie et d’une écologie du spectacle vivant responsables qu’elle mène avec sa compagnie Lapsüs Chevelü. « La performance sera proposée par la compagnie sur les réseaux sociaux et les applications de rencontre au moyen de comptes et de publications dédiés. Elle consiste à interpréter quelques chansons chez quelqu’un avant de partager un repas. Je me déplace en transport en commun ou à pied avec mes instruments (ukuleles, pédale de boucle, micro et ampli) dans une valise. Nous partageons ce moment. Je repars après manger ». L’invitation est tout de même plus « sexy » que celle d’Emmanuel Macron. Elle pose la question du risque artistique, qui doit aller de pair avec le risque sanitaire qui menace de nous poursuivre encore longtemps.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Un certain nombre d’artistes donnent également des cours de pratiques artistiques amateurs (théâtre, danse, arts plastiques, chant…). Ces activités ont été mises à mal par le Covid et reprennent doucement. Nous avons essayé de voir comment les acteurs de ce secteur ont réagi au Covid et voient l’avenir: https://hautlescours.fr/post/activites-artistiques-covid-19/