Avec A Poils, Alice Laloy poursuit son exploration esthétique sans faille et s’adresse au tout jeune public sans rien perdre de son hallucinante créativité. Un trio farfelu de durs à cuire s’y découvre petit à petit plus tendre qu’il n’y paraît. Et sous le cuir de leurs blousons, révèlent l’envers du décor.
Alice Laloy a le chic pour créer des espaces hors du commun, des scénographies évolutives toutes en surprises, des chorégraphies de gestes précis et agrandis, des alliages subtils entre les corps, les matériaux et les marionnettes, des performances aussi troublantes qu’euphorisantes, des compositions hybrides où la partition sonore et musicale s’ancre pleinement dans la dimension visuelle. Avec A Poils, création jeune public à partir de 3 ans, elle ne lésine ni sur les moyens employés et déployés, ni sur la pensée dramaturgique, solide et complexe. Une fois de plus, s’instaure un rapport au public neuf, partie prenante du dispositif. Les spectateurs, petits devant, grands derrière, se massent le long d’un cordon de chantier délimitant une zone à respecter. Interdiction de franchir la ligne. Les enfants connaissent, les interdits peuplent leur vie, les consignes en définissent les contours, ils sont donc en terrain connu. Respecter les règles (du jeu). Mais aucune trace ici d’une expérience théâtrale traditionnelle répartissant les spectateurs dans l’ombre, assis sur leurs sièges et les interprètes sur scène, dans la lumière. Premier pas de côté. Classicisme d’emblée aboli.
Puis apparaît un grand gaillard, tout de noir vêtu, bientôt rejoint par deux acolytes du même type. Allure de rockeurs autant que de dockers, ils arpentent le plateau en un ballet de flight cases, ces énormes caisses sur roulettes utilisées pour transporter le matériel des spectacles ou concerts. Nous voici dans un environnement brut de décoffrage, sans fioritures, sans angles arrondis, un univers à priori pas du tout enfantin : les back stages, l’envers du décor, le temps des préparatifs en opposition à la magie scénique. Et nos trois hurluberlus, cheveux hirsutes, dégaines de loubards, santiags aux pieds, bandana rouge, blousons noir ou vestes en cuir, de s’adresser aux enfants qu’ils mettent à contribution pour construire ce qui deviendra, une fois tous les coussins disposés, un squelette de chapiteau miniature. Inutile de préciser que les enfants s’en donnent à cœur joie dans ce jeu de construction géant tandis que les parents s’amusent tout autant, tout en se demandant où tout cela va bien les mener. Le clou du spectacle est plus tardif, quand une forêt de lianes se déploie d’une traite, couronnant nos têtes ébahies. Et les visages des adultes tout aussi surpris que les enfants, enchantés de se retrouver dans un décor tout poilus qui leur lèche le haut du crâne.
Sous cette toiture textile au mille couleurs, abri imaginaire favorisant l’émerveillement, nos trois rockeurs de pacotille bientôt se délestent de leur panoplie de métalleux et révèlent une toison de poils aussi colorés que l’habitacle qui nous accueille. Et sous la carapace de gros durs, mettent à nu leur pilosité affriolante. Ces trois peluches humaines se lancent dans un rock’n roll débridé et tous les mômes au taquet de taper le rythme dans leurs mains, définitivement rassurés par le nouvel aspect de ces punks pieds nickelés. Car ce qui est le plus emballant dans l’affaire, c’est le chemin parcouru entre le début du spectacle et sa résolution. D’un contexte à la limite de l’hostile, en rien hospitalier, qui place les jeunes spectateurs dans une posture inconfortable, ne sachant trop sur quel pied danser, on traverse une étape grisante d’aménagement du territoire participative pour jouir ensemble du décor ainsi collectivement agencé et s’offrir le luxe d’assister à ses surprises cachées. C’est une scénographie en kit, une boîte à malices garnie d’effets savamment pensés, aux vertus spectaculaires. Alice Laloy joue sur l’envers et l’endroit, le visible et le caché, elle désamorce les préjugés et libère la douceur nichée sous l’armure et ce faisant, nous retourne comme un gant. C’est puissant, sensible et intelligent, régénérant. Et poilant.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
A Poils
Avec Vladimir Barbera, Luca Fiorello, William Pelletier
Collaboration artistique Stéphanie Farison
Assistanat à la mise en scène Simon-Élie Galibert
Musiques Csaba Palotaï
Lumières Jean-Yves Courcoux
Scénographie Jane Joyet, assistée d’Alissa Maestracci
Costumes Alice Laloy, Mélanie Loisy, Maya-Lune Thieblemont, Anne Yarmola assistées de Sara Clédé, Solveig De Reydet
Prothèses et perruques Maya-Lune Thieblemont
Teinture du crin Ysabel de Maisonneuve assistée de Lisa Morice
Construction Benjamin Hautin
Régie générale, son, lumière, plateau Julien Joubert en alternance avec Jean-Baptiste Leroux
Renforts à la construction du décor Quentin Tailly, Vivian Guillermin, Stéphane Uzan et l’équipe des mécheuses Mathilde Apert, Lëa Assous, Justine Baron, Romane Bricard, Inès Forgues, Léonie Garcia Lamolla, Charisté Monseigny, Lisa Morice, Fatima Sharmin, Maëlle Ubaldi, Emma Valquin
Le spectacle a été créé en 2021 avec Julien Joubert, Yann Nédélec et Dominique Renckel
Coduction La Compagnie s’Appelle Reviens
Co-production La Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace ; Le TJP-CDN Strasbourg Grand Est ; Le Tandem – Scène Nationale Arras-Douai ; Houdremont – Centre Culturel La Courneuve.
Avec le soutien du Conseil Général de Seine-Saint Denis et la Ville de Strasbourg et le soutien pour l’accueil en résidence du Théâtre La Licorne à Dunkerque, du Nouveau Théâtre de Montreuil – CDN, de la Ville de Pantin et du Théâtre de la Coupe d’Or.
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
La compagnie est subventionnée par la DRAC Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France et la Communauté Urbaine de Dunkerque, avec le soutien du Département du Nord, la Ville de Dunkerque.Durée : 40 min
A partir de 3 ansDu 6 au 8 février 2024
Festival des Rêveurs Eveillés – SevranDu 23 au 25 février 2024
Culture Commune – Scène Nationale du Bassin Minier de Pas de Calais
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