Au Théâtre des Célestins, Aurore Fattier plonge la tragédie shakespearienne dans un bain de cruauté contemporaine. Avec plus de réussite, toutefois, que ses comédiens.
Décider de monter Othello revient, de façon presque consubstantielle, à se mettre à la merci d’une indéboulonnable polémique : faut-il, ou non, confier le rôle-titre à un acteur noir ? Juste avant sa disparition, en 2015, Luc Bondy en avait fait l’amère expérience. Pour incarner le Maure de Venise, dans une mise en scène qui n’aura finalement jamais vu le jour en raison de son décès, l’ancien directeur du Théâtre de l’Odéon avait choisi un comédien blanc, Philippe Torreton, et suscité une controverse. Quatre ans auparavant, Thomas Ostermeier avait fait de même et confié le rôle d’Othello à Sebastian Nakajew, mais le metteur en scène allemand s’en était tiré avec une saisissante et signifiante pirouette. En guise de scène inaugurale, Othello voyait son corps enduit de noir – loin de la blackface – par Desdémone et Iago. En une image, le noeud gordien était alors noué pour celui qui se vit comme intégré, mais est sans cesse réduit à sa couleur de peau par un entourage qui n’accepte pas, Iago en tête, l’ascension de cet ancien esclave devenu général et mari de la fille de l’un des plus hauts dignitaires de Venise.
Loin de la proposition d’Arnaud Churin qui, dans quelques jours au Théâtre de la Ville, montera un Othello inversé où un acteur blanc jouera le rôle-titre au milieu de comédiens noirs, façon de signifier que la couleur est moins importante que la différence, Aurore Fattier a choisi Cyril Gueï – qui remplace William Nadylam, présent lors de la création du spectacle à Liège. Evitant soigneusement, et heureusement, toute lecture biaisée de la pièce – celle d’un homme noir dont la nature, forcément barbare, serait révélée par Iago – elle fait du Maure de Venise la victime d’une machination raciste organisée par son cruel valet. Elle pose, d’entrée de jeu, une image à la symbolique puissante : celle d’un Othello, en plein carnaval, avec un masque de Pierrot, figure de la candeur et de l’amour pur.
Au texte originel de Shakespeare, la metteuse en scène associée aux théâtres de Liège, de Namur et Varia impose un traitement de choc. Adaptée, retraduite, subtilement augmentée par des fragments du Musée noir d’André Pieyre de Mandiargues, la pièce perd en beauté formelle et en souffle poétique ce qu’elle gagne en contemporanéité et en accessibilité. La langue y est moins précieuse, moins bouleversante, mais plus directe, comme si chaque tirade était un crochet du droit envoyé depuis notre monde. Dans un décor modulable à l’envi, capable de passer de Venise à Chypre, de la sombre ruelle au fastueux palais, elle fait habilement dialoguer, par petites touches, théâtre et cinéma. Captés en gros plan, à l’abri d’une loge, les moments de manigance prennent le public à témoin, le mettent de force dans la confidence, et n’en sont alors que plus dérangeants. Conçu comme un thriller chic et sensuel, fondé sur une solide lecture et un travail préparatoire colossal, cet Othello avait toutes les cartes en mains pour séduire.
Sauf qu’au soir de la première aux Célestins, les comédiens n’étaient pas tout à fait au point, aux prises avec d’handicapants ratés. A commencer par l’incontournable tandem Othello-Iago sur qui une bonne partie de la pièce repose. Quand Cyril Gueï, visiblement anxieux, ne semble pas encore avoir trouvé sa voie, le Flamand Koen De Sutter, pourtant remarquable dans sa présence scénique, malmène le texte avec une diction très approximative. A l’image de Vincent Minne, transparent Cassio, Pauline Discry peine à donner du relief et de l’aplomb à Desdémone, qu’Aurore Fattier veut plus combative que victime. Reste, alors, la très solide Annah Schaeffer. Imperturbable Emilia, elle permet à ses compagnons de jeu de gagner, dans les dernières encablures, en souffle, et l’ensemble en intensité. Ce soir-là, Aurore Fattier lui devait une fière chandelle.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Othello
d’après William Shakespeare
Mise en scène Aurore Fattier
Avec Marie Diaby, Pauline Discry, Cyril Gueï, Fabien Magry, Vincent Minne, Annah Schaeffer, Koen De Sutter, Jérôme Varanfrain, Serge Wolf
Adaptation et dramaturgie Sébastien Monfé
Collaboration à l’adaptation et traduction William Nadylam
Collaboration artistique Sarah Brahy
Scénographie Sabine Theunissen
Collaboration à la scénographie Simon Detienne
Composition musicale Manuel Roland
Lumière Matthieu Ferry
Son Jean-Maël Guyot
Vidéo Vincent Pinckaers
Costumes Prunelle Rulens
Maquillages et coiffures Rebecca Flores
Assistante à la mise en scène et à la dramaturgie Lara CeulemansUn spectacle Solarium asbl
Production Théâtre de Liège (Belgique), DC&J Création (Belgique)
Coproduction Les Théâtres de la Ville de Luxembourg (Luxembourg), Théâtre de Namur (Belgique), Mars – Mons Arts de la Scène (Belgique), KVS – Théâtre royal flamand de Bruxelles (Belgique), Bonlieu – Scène nationale Annecy, Célestins – Théâtre de Lyon, Théâtre de la Cité – Centre dramatique national Toulouse Occitanie
Avec le soutien du Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et de Inver Tax Shelter
Avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles/Service ThéâtreDurée : 3h30, entracte compris
Première partie : 2h / Entracte : 30 minutes / Deuxième partie : 1hCélestins – Théâtre de Lyon
du 21 au 28 septembre 2019La Filature de Mulhouse
les 28 et 29 novembreThéâtre de la Cité – Centre dramatique national Toulouse Occitanie
du 17 au 21 décembre
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