A l’Opéra Garnier, une nouvelle production que signe Simon Stone du chef-d’oeuvre de Verdi est marquée par la prise de rôle de la jeune soprano Pretty Yende en Violetta hyper glamour et connectée.
Pour sa première mise en scène à l’Opéra de Paris, Simon Stone, nouvelle coqueluche surdouée du théâtre européen, se voit confier rien moins qu’un des titres les plus populaires et aimés du répertoire : La Traviata de Giuseppe Verdi. Fidèle à son art et à sa manière, celui qui monte Sophocle, Euripide, Tchekhov, Shakespeare ou Ibsen en décontextualisant les situations et en réécrivant presque chaque mot, systématise ses chers principes que sont l’actualisation et la trivialisation de son sujet.
Après une Ville morte de Korngold à Bâle et bientôt visible à Munich, un Lear de Reimann et plus récemment la Médée de Cherubini à Salzbourg, Simon Stone se distingue à l’opéra par une approche forcément moins délibérément insoumise mais non moins passionnante. Sans pouvoir intervenir sur l’oeuvre elle-même, il en développe une lecture très générationnelle. Il écrit une sorte de script qui pourrait être celui d’une série télévisée en usant de ressorts scénaristiques efficaces, même si parfois un peu trop indiqués, et en faisant preuve d’une science de l’espace et du rythme tout à fait jubilatoire. Ainsi, il redessine l’intrigue en une quantité de lieux et de scènes au timing resserré. Sans surprise, sa Traviata résonne fortement avec le monde d’aujourd’hui. Elle assume le piquant et la superficialité de l’époque obsédée par l’image de soi, la jouissance et le paraître, en cumulant avec humour et dérision les signes ostensibles de sa modernité (voiture de luxe, smartphones, clopes, kebab, baskets…).
Sa mise en scène se présente comme une grande déambulation nocturne à la fois intrépide et mélancolique. Violetta erre d’un endroit à l’autre, d’une boite à l’autre, ne trouvant jamais sa place et n’occupant aucun carcan. Elle passe d’une soirée chic et mondaine où Alfredo entonne fiévreusement son Brindisi tout en haut d’une pyramide de coupes de Champagne et déclare sa flamme au milieu des bennes à ordure dans l’arrière-cour, à une gentille sauterie plus ou moins SM où les convives s’amusent et s’épuisent devant des figures en néons bariolés explicitement inspirées de l’oeuvre de Bruce Nauman. Il est fort dommage que les choristes de l’Opéra ne jouent pas davantage le jeu car, même affublés de costumes improbables, ils manquent crucialement de folie. Au cours d’une amoureuse retraite passagère à la campagne, le couple de tourtereaux s’initient aux vendanges et à la traite de vache. La course à l’abîme finira sur le lit médicalisé de l’héroïne convalescente puis mourante. Ces lieux éphémères hantés par la dévoyée trouvent place dans un simple triangle d’une blancheur angélique posée sur une tournette qui permet des changements de décors à la fois rapides et limpides. Ainsi, il paraît bien inutile de couper la représentation à deux reprises. Un seul entracte aurait bien entendu suffi.
Simon Stone réussit une Traviata palpitante et vibrante pour un public d’aujourd’hui qui y retrouvera tout ce qu’il aime du chef-d’oeuvre de Verdi, son ardeur juvénile, sa frénétique vitalité, sa délicieuse licence, son scandale, sa douleur. Tout cela est porté avec panache par une distribution de premier plan. Le visage fardé, filmé en gros plan dès l’ouverture ou pleine de naturel sur des photos intimes qui défilent en grand format pendant l’Addio del passato , Violetta devient une icône de mode et de produits cosmétiques qui s’affiche sans complexe à la vue de tous sur les réseaux sociaux et affolent les likes de ses followers. Parfaitement crédible dans cette approche du personnage, Pretty Yende qui chante pour la première fois le rôle et l’aborde certes un peu prudemment, a absolument tout pour elle. D’une allègre irradiance aussi bien vocale que scénique, elle n’est que séduction et émotion de bout en bout. A ses côtés, c’est un Alfredo de luxe que campe Benjamin Bernheim plein d’éclat et de fraîcheur tandis que Germont Père est souverainement interprété par Ludovic Tézier. Il n’y aura pas toute l’électricité attendue en fosse mais Michele Mariotti dirige un orchestre fort bel accompagnateur, soyeux et nuancé, parfois un rien trop en retrait malgré le rythme soutenu qui est adopté.
Christophe Candoni à la création en septembre 2019- www.sceneweb.fr
LA TRAVIATA
Giuseppe Verdi
OPÉRA EN TROIS ACTES
1853
MUSIQUE
Giuseppe Verdi (1813-1901)
LIVRET
Francesco Maria Piave
D’APRÈS
Alexandre Dumas fils,
La Dame aux camélias
En langue italienne
Surtitrage en français et en anglais
DIRECTION MUSICALE
Michele Mariotti
Carlo Montanaro (9, 12, 16 oct.)
MISE EN SCÈNE Simon Stone
DÉCORS Bob Cousins
COSTUMES Alice Babidge
LUMIÈRES James Farncombe
CHEF DES CHŒURS José Luis Basso
Orchestre et Chœurs
de l’Opéra national de Paris
VIOLETTA VALERY
Pretty Yende (A)
Nino Machaidze (B)
FLORA BERVOIX Catherine Trottmann
ANNINA Marion Lebègue
ALFREDO GERMONT
Benjamin Bernheim (A)
Atalla Ayan (B)
GIORGIO GERMONT
13 (12, 15 sept., 1 > 16 oct.)
Jean-François Lapointe (18 > 28 sept.)
GASTONE Julien Dran
IL BARONE DOUPHOL Christian Helmer
IL MARCHESE D’OBIGNY Marc Labonnette
DOTTOR GRENVIL Thomas Dear
GIUSEPPE Luca Sannai
DOMESTICO Enzo Coro
COMMISSIONARIO Olivier Ayault(A) 12, 15, 21, 24, 28 sept., 1, 4 oct. 2019
(B) 18, 26 sept., 6, 9, 12, 16 oct. 2019COPRODUCTION AVEC LE WIENER STAATSOPER
PALAIS GARNIER
13 représentations du 12 septembre au 16 octobre 2019
Avant-première Jeunes le 9 septembre 2019, réservée aux moins de 28 ans
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