Après Betroffenheit, Crystal Pite et Jonathon Young s’associent de nouveau pour créer Revisor. Présenté pour la première fois à Vancouver en février 2019, le spectacle arrive à La Villette.
Pour l’histoire, bien que le nom de Gogol n’apparaisse pas sur l’affiche, c’est bien celle du Revizor dont il s’agit. De son propre aveu, Gogol n’inventait rien : pour ce drame, il a repris à son compte une anecdote diffusée dans la Russie des années 1830. A la manière de l’auteur russe, Jonathon Young s’inspire lui aussi de cette histoire pour la faire sienne : un groupe de notables dans une ville de province apprennent qu’ils vont recevoir la visite incognito d’un inspecteur de Moscou. Ils sont persuadés qu’il s’agit du jeune homme arrivé en ville la veille. Ce dernier devient alors la cible de toutes les faveurs mais, bien sûr, ce n’est pas lui l’inspecteur…
Pite et Young, comme dans Betroffenheit, appliquent le principe qu’ils ont baptisé « ventriloquisme chorégraphique ». Autrement dit, on assiste à nouveau à ce mélange de danse et de théâtre où les arts ne sont pas segmentés mais où ils ne forment qu’un. Sur scène, seulement des corps qui font du playback : toute la pièce est enregistrée et les danseurs synchronisent leurs lèvres sur des voix qui ne sont pas les leurs. Le texte, ou plutôt l’enregistrement de ce texte, remplace la musique et donne les temps. Comme si les mots, la voix n’étaient que du mensonge, comme si tout cela sonnait faux, alors, seuls les corps diraient la vérité.
Sur scène, on voit une autrice qui, inlassablement, reprend son histoire. A l’image de Gogol qui a écrit plusieurs versions de sa pièce car il n’était pas content des précédentes. L’autrice bouge ses personnages, les commente, les appelle « figure 1 », « figure 2 »… Elle met l’histoire en pause, revient, déplace un bras, une jambe avant de repartir. Les danseurs sont marionnettes, ils gardent des mouvements mécaniques même lorsque celle qui les dirige n’est plus physiquement présente. La technique semble parfaite.
Au fur et à mesure que le récit avance, on voit les ratures, les reprises, les révisions. La pièce défile puis recommence mais de façon différente. La première fois, tout est clair, limpide, énormément parlé (peut-être même un peu trop bavard ?), dans la deuxième, seulement certains mots tournent en répétition et les danseurs répètent le geste, cherchent une façon de débloquer la situation comme un auteur réfléchit à comment dénouer les fils dans lesquels se sont pris ses personnages. Ainsi, on va de plus en plus loin, du texte, on passe au metatexte, puis, couche par couche, on a l’impression de creuser jusqu’au squelette de l’histoire. Car c’est là un des messages du spectacle : la bassesse, l’horreur des âmes qui ici sont symbolisées par des corps. Les postures, les rires et les cris transpirent la corruption. La forme prend peu à peu le pas sur le fond ou bien, plus simplement dans ce Revisor la forme est le fond. Crystal Pite creuse jusqu’au bout : elle n’est plus seulement chorégraphe mais exorciste, car lorsque le glas de la bêtise sonne, les lumières s’éteignent.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
REVISOR
CO-CREATED BY : Crystal Pite & Jonathon Young
WRITTEN BY : Jonathon Young
CHOREOGRAPHED & DIRECTED BY : Crystal PiteCOMPOSITION & SOUND DESIGN : Owen Belton, Alessandro Juliani, Meg Roe
SET DESIGN : Jay Gower Taylor
LIGHTING DESIGN : Tom Visser
COSTUME DESIGN : Nancy BryantPERFORMERS : Doug Letheven, Rena Narumi, Matthew Peacock, David Raymond, Ella Rothschild, Cindy Salgado, Renée Sigouin, Jermaine SpiveyTiffany Tregarthen
VOICE ACTORS : Kathleen Barr, Ryan Beil, Mark Chavez, Nicola Lipman, Alessandro Juliani, Scott McNeil, Gerard Plunkett, Meg Roe, Amy Rutherford, Jonathon YoungDurée : 1h30
La Villette
du 21 au 24 avril 2022
Jeu & ven 20h
Sam 19h
Dim 15h
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !