L’actualité est riche pour Isabelle Huppert en Amérique du Nord : alors que le film Greta vient de sortir en salle, elle est aussi sur la scène du Linda Gross Theater depuis le 20 février. Elle y incarne le rôle principal de The Mother (traduction de La Mère) de Florian Zeller.
Jusqu’à la mi-avril, Isabelle Huppert partage avec Chris Noth (Mr Big dans Sex and the City), l’affiche de The Mother dans un théâtre occupé par l’Atlantic Theater Company. Une ancienne église magnifiquement aménagée en théâtre depuis 1985 dans le quartier de Chelsea.
Huppert n’avait plus été sur les planches newyorkaises depuis 2016, lors de son passage avec les Phèdre(s) de Krzysztof Warlikowski. Bien qu’elle ne soit pas si rare dans la capitale culturelle américaine, elle n’en crée pas moins l’événement et attire du monde. Lors d’une représentation de semaine, bien après les premières, on croise le public chic européo-new yorkais : des écrivains expatriés à Ivo van Hove, venu applaudir l’actrice qu’il mettra en scène dans La Ménagerie de Verre à l’Odéon en 2020.
Alors que le public entre, Huppert est déjà sur scène, seule sur un canapé immense occupant toute la largeur du plateau, elle a un livre à la main. Alors qu’elle s’ennuie, elle nous fascine déjà par le moindre de ses gestes : une main posée sur une joue ou qui époussette une robe déjà propre quand l’autre tient un livre sont autant de détails qui pavent le couloir qui la mène à la folie.
Florian Zeller est l’un des auteurs français les plus montés aux Etats-Unis, notamment à Broadway. Si on imagine difficilement Isabelle Huppert dans un Zeller à Paris, c’est tout naturellement qu’elle prend ici la suite de Catherine Hiegel, la créatrice du rôle en 2010, récompensée d’un Molière pour sa performance. Force est de constater que le rôle va bien à Huppert, qui l’habite avec toute la folie qu’on lui connait.
Elle est une mère qui vit mal l’abandon du foyer familial par ses enfants. Son mari la trompe, elle est au courant mais fait semblant d’être dupe. Son fils est en couple, elle est jalouse de sa belle-fille. Il y en a juste une dont la mère semble bien se passer : sa fille qui, de toute façon, a un air qui ne lui est jamais revenu.
Au fil du drame, la mère nous tire avec elle dans sa détresse et dans l’amour malsain qui la relie à son fils, elle attend de lui la tendresse que son mari ne lui donne plus. Huppert est triste, parfois hurlante, jamais pathétique, même lorsqu’elle se roule au sol ou quand sa progéniture la quitte, comme s’il était un amant vampirisé et elle une femme passionnée. Elle a des accents monstrueux, se satisfait du malheur des autres s’il peut éponger un tant soit peu sa solitude. La mère est prête à prendre le rôle d’une femme qui attend qu’un homme soit libre pour lui mettre enfin le grappin dessus. On est dans l’inceste non-consommé, bien que la façon dont la mère touche son fils soit glaçante.
Sur scène, l’esthétique laisse peu de place à la couleur, tout au plus quelques reflets d’orange grâce au whisky dans une carafe et les dizaines de boites de pilules qui s’empilent, comme les regrets, sous les meubles. Il y a aussi le rouge de la robe, la mère est passionnée, même dans ses choix vestimentaires.
La narration non-linéaire qui fait l’un des aspects caractéristiques du théâtre de Zeller est bien coordonné par le metteur en scène, Trip Cullman. La pièce pourrait être longue, parfois répétitive de par sa construction même : on ne sait jamais où l’on se situe dans la vie du personnage. On ne sait pas si on s’enfonce dans le pire, ou bien si la scène que l’on vient de voir est la conséquence de ce pire déjà arrivé. Ce trouble entretenu comme un cercle infernal est un bel exercice pour les acteurs qui arrivent à passer d’une nuance à l’autre avec finesse et justesse. La frontière entre réalité et folie est poreuse : Isabelle Huppert marche sur la ligne de démarcation avec le talent d’une funambule des émotions.
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
The Mother by Florian Zeller
Traduit par Christopher Hampton
Mis en scène par Trip Cullman
Avec Isabelle Huppert, Chris Noth, Justice Smith et Odessa YoungJusqu’au 13 avril 2019 au Linda Gross Theater, 336 West, 20th Street, New York
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