Après Mon cœur sur le scandale du Médiator, Pauline Bureau réalise avec la troupe de la Comédie-Française au Vieux-Colombier, un spectacle magistral autour du Procès de Bobigny sur l’avortement. Un hommage émouvant à la liberté des femmes, au moment où un peu partout dans le monde, de nouvelles voix s’élèvent pour remettre en cause ce droit.
Rarement un public aura été autant bouleversé à l’issue d’une représentation. Des gens pleurent, des couples – souvent jeunes – restent assis enlacés, les adolescents quittent le Vieux-Colombier sans faire de bruit, sonnés par l’intensité du spectacle de Pauline Bureau, certainement le plus dense émotionnellement de cette saison théâtrale. L’autrice et metteuse en scène met tout son talent au service d’une grande cause qui a fait avancer le droit des femmes, et que certains voudraient remettre en cause.
« Je n’ai pas oublié la douleur » dit Marie-Claire Chevalier adulte qui traverse le spectacle sous les traits de l’incroyable sociétaire honoraire, Martine Chevalier. Comment l’oublier ? Marie-Claude a tout juste 16 ans lorsqu’elle tombe enceinte en 1971, violée pendant l’été par un garçon de son âge. Marie-Claire fond en larmes lorsqu’elle annonce sa grossesse à sa mère. Claire de la Rüe du Can, au jeu tout en finesse, plonge la salle dans un effroyable chagrin. Marie-Claire ne souhaite pas conserver l’enfant. Sa mère la protège et met tout en œuvre pour la faire avorter dans la clandestinité. Pauline Bureau fait ressentir la douleur par une incroyable mise en scène tout en lenteur et en silence, portée par des comédiennes remarquables.
L’histoire de Marie-Claire a été médiatisée par le procès de Bobigny en octobre et novembre 1972. La jeune fille et sa mère ont été soutenues par l’association féministe « Choisir » présidée par Simone de Beauvoir. Gisèle Halimi devient l’avocate des deux femmes et des autres accusées du procès ; leur voisine et l’avorteuse. Pauline Bureau fait le choix radical dans la deuxième partie d’une mise en scène frontale. Françoise Gillard, magistrale dans la peau de Gisèle Halimi, et les accusées s’adressent directement au public, témoin direct du procès. Derrière lui résonnent les voix du Président et de l’avocat général. 4 femmes dans le prétoire face à 4 hommes de lois.
Le spectacle formidablement bien écrit et documenté (Pauline Bureau s’est appuyée sur le témoignage de Marie-Claire Chevalier mais aussi sur la plaidoirie de Gisèle Halimi et les minutes du procès éditées chez Gallimard) est le reflet de la société française en 1972. Les femmes se structurent, montent au créneau. Le Nouvel Observateur publie la pétition des 343, dont la comédienne Danièle Lebrun était signataire. Elle aurait pu incarner son propre rôle sur scène, elle apparaît sous les traits de Simone de Beauvoir. Gisèle Halimi fait comparaître à la barre Michel Rocard alors député socialiste qui prépare une proposition de loi (Alexandre Pavloff), le prix Nobel Jacques Monod (Laurent Natrella), mais aussi la comédienne Delphine Seyrig (Coraly Zahonero). Une reconstitution d’une force saisissante au plus proche de la réalité de l’époque avec le rappel de chiffres glaçants. Entre les années 20 et les années 70, pendant l’instauration de la loi interdisant l’avortement, 250 000 femmes sont mortes en France.
Le procès de Bobigny a contribué à la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse en France. De 518 condamnations pour avortement en 1971, on est passé à 288 en 1972, puis à quelques dizaines en 1973. Avant que n’arrive à l’Assemblée Nationale la loi Veil en 1975 sur l’IVG. Ce spectacle est d’utilité publique au moment où partout dans le monde, y compris en France, certains voudraient revenir sur ce droit acquis par les femmes.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Hors la loi de Pauline Bureau
avec
Martine Chevallier, Coraly Zahonero, Alexandre Pavloff, Françoise Gillard, Laurent Natrella, Danièle Lebrun, Claire de La Rüe du Can
Texte et mise en scène : Pauline Bureau
Scénographie : Emmanuelle Roy
Costumes : Alice Touvet
Lumières : Bruno Brinas
Vidéo : Nathalie Cabrol
Musique originale et son : Vincent Hulot
Maquillages et coiffures : Catherine Saint-Sever
Dramaturgie : Benoîte Bureau
Assistanat à la mise en scène : Sabrina BaldassarraDurée: 2h05
Vieux-Colombier
DU 18 SEPTEMBRE AU 1ER NOVEMBRE 2020
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