Multiprimée en Allemagne, la pièce d’Elfriede Jelinek, écrite immédiatement après l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, brocarde le tout-pouvoir et sa vacuité. La mise en scène délirante et bariolée de Falk Richter appuie la diatribe parfois géniale, parfois complaisante.
Depuis ses origines, le théâtre ne cesse de montrer et d’interroger les figures du pouvoir les plus démentes, dérangeantes, terrifiantes. Jamais nommé, c’est le nouveau président américain qui est à l’origine du pamphlet forcément peu flatteur mais, à travers lui, tous les dirigeants contemporains sont pris pour cible. Benny Claessens, comédien toujours sensationnel vu chez Johan Simons ou Luk Perceval, prête au roi sa stature hors-norme, bachique et ubuesque, revêtue d’un ridicule déshabillé rose bonbon entre autres attributs de pacotille et lui confère une iconoclaste exubérance. Il est d’une jubilante puérilité. Autour de lui, des orateurs œdipiens tentent de dire, démunis, le monde tel qu’il est.
Dans une langue fleuve et brute, sont fermement dénoncés le désastre de l’anti-démocratie, la voracité et la vétusté de la politique actuelle, le dangers des populismes libérés et de l’hypercapitalisme. Tout cela est passé au scalpel de Jelinek, accusatrice et incisive comme d’habitude. La dramaturge autrichienne cartographie l’effrayante propagation de la violence, de la peur, de la haine dans nos sociétés déliquescentes. On attendait plus de hauteur de vue et de rigueur intellectuelle de la part du Prix Nobel de littérature et moins de prétention. Elle parle et se répète beaucoup, enfonce pas mal de portes ouvertes, assène un propos rebattu sans finalement donner réelle matière à penser. On est bien loin des Suppliantes, texte admirable sur le drame des réfugiés.
Cette plongée cauchemardesque dans les arcanes du pouvoir et la décadence du mode contemporain ne supporte pas de pathos tragique. La mise en scène qu’en fait Falk Richter, lui-même dramaturge, est pleine de vie et de facéties. Il orchestre une spectacularisation parodique du monde des gouverneurs réduit à un show grotesque. Ce long et vertigineux happening est traversé de moments tantôt fulgurants tantôt ennuyants. C’est aussi plaisant que prévisible. Car si les recettes du théâtre post-dramatique allemand fonctionnent toujours, elles sont aussi un peu usées. L’ensemble repose sur la superbe troupe du Schauspielhaus de Hambourg, évidemment rompue à l’exercice et tellement virtuose dedans. Les acteurs scandent, chantent, hurlent, improvisent, s’amusent, vocifèrent, vitupèrent… Et on reste médusé pour le bonheur du jeu moins de la réflexion.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Am Königsweg
[Sur la voie royale]
d’Elfriede Jelinek
mise en scène Falk Richter
avec
Idil Baydar,
Benny Claessens,
Matti Krause,
Anne Müller,
Ilse Ritter,
Tilman Strauß,
Julia Wieninger,
Frank Willensdurée 3h30 (avec un entracte)
Odéon 6e
20 – 24 février 2019
19h30 du mercredi au samedi, 15h le dimanche.
Représentation surtitrée en anglais le samedi 23 février
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