Cherkaoui, Goecke et Lidberg sont trois chorégraphes invités par l’Opéra de Paris à proposer trois pièces contemporaines sur lesquelles planent la figure tutélaire de Vaslav Nijinski et les Ballets russes. Avec un bonheur contrasté, le couple est passé au crible dans un programme où la sensualité cède vite la place à la morosité.
Le Ballet de l’Opéra joue toujours, un siècle après sa scandaleuse création, la version originale et mythique du Prélude à l’Après-midi d’un faune de Nijinski mais s’octroie aussi le plaisir d’en offrir quelques variantes. Aussi compte-t-il à son répertoire l’adaptation qu’en a fait Jerome Robbins, tout en retenue et en élégance bleu glacé et la version plus charnelle et solaire de Sidi Larbi Cherkaoui qui ouvre le programme.
Au centre du plateau nimbé d’une lumière d’or : un couple à l’érotisme latent déborde de chaleur. Le faune, en simple slip, torse et jambes nus, et la nymphe, légère et semi vêtue, s’abandonnent l’un et l’autre au désir fusionnel. Leur longue étreinte est aussi lascive qu’acrobatique. Les corps jeunes et vigoureux sont en feu. Ils s’attirent, se lovent, dans un geste continu d’enlacement, d’entremêlement. A l’occasion de roulades, de grimpades, s’affiche une sensualité sauvage magnifiquement assumée par Marc Moreau et Juliette Hilaire, renversants de passion et de précision. A toute la magie enivrante de la partition de Debussy, se mêlent les attraits d’une composition de Nitin Sawhney dont les nappes sonores additionnées à l’oeuvre originelle apportent une coloration electro-orientale des plus envoûtantes.
Encore peu connu du public français mais acclamé sur les scènes allemandes, Marco Goecke est lui aussi hanté par Nijinski à qui il a d’ailleurs consacré un ballet. Sa danse raide, anguleuse, fait nécessairement un lointain écho à l’aspect « cubiste » de la gestuelle du Maître russe, où prédominait le travail des bras comme c’est exactement le cas dans Dogs sleep. Alors que les jambes des interprètes sont dissimulées dans une épaisse fumée blanche qui envahit la scène, leurs bustes surnagent et agissent presque mécaniquement.
Très étonnante, la pièce tire radicalement vers l’absence de couleurs et de sensualité au profit d’une angoisse cauchemardesque, une peur panique et existentielle. Dans la nuit et le brouillard, les corps s’expriment en des mouvements bruts, violemment syncopés et répétés à très grande vitesse dans une dynamique quasi marionnettique. Le souffle de leur respiration sèche et quelques râles se font entendre. La distribution réunit des danseurs aussi doués que Ludmila Pagliero, Stéphane Bullion, Mathieu Ganio. Tous font preuve d’une exactitude et d’une vélocité impressionnantes.
Pour finir, le suédois Pontus Lidberg signe une création tout à fait anecdotique sur Noces de Stravinski. Lidberg voudrait interroger l’institution que représente le mariage aujourd’hui en relation avec la norme et les différentes orientations sexuelles. Le propos se résume à une incessante course-poursuite, au cours de laquelle dix-huit danseurs bien peu mis en valeurs vont et viennent, s’unissent et se désunissent à l’infini. Dans cette agitation vaine et poussive, les couples manquent cruellement de relief et de singularité. L’ensemble est bien peu élaboré et dépourvu de beauté. Les costumes sont d’une rare mocheté tout comme les grosses fleurs qui descendent des cintres. Face à cette danse terne et invariante, le plaisir vient de la fosse où surgissent les chatoyances et le dynamisme de l’oeuvre avant-gardiste de Stravinski interprétée par l’Ensemble Aedes et les solistes dirigés par Vello Pähn.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Création
Chorégraphie :
Marco Goecke
Direction musicale :
Vello Pähn
Création
Danseurs en alternance :
Eleonora Abbagnato
Émilie Cozette
Ludmila Pagliero
Sae Eun Park
Muriel Zusperreguy
Marion Barbeau
Héloïse Bourdon
Stéphane Bullion
Mathieu Ganio
Audric Bezard
Alessio Carbone
Paul Marque
Arthus Raveau
Marc MoreauLes Noces
Musique :
Igor Stravinsky
Chorégraphie :
Pontus Lidberg
Direction musicale :
Vello Pähn
Décors :
Patrick Kinmonth
Costumes :
Patrick Kinmonth
Lumières :
Bertrand Couderc
Chœurs :
Ensemble Aedes
Les Noces
Danseurs en alternance :
Eve Grinsztajn
Caroline Bance
Aurélia Bellet
Caroline Robert
Silvia Saint-Martin
Roxane Stojanov
Lydie Vareilhes
Séverine Westermann
Letizia Galloni
Katherine Higgins
Juliette Hilaire
Sophie Mayoux
Charlotte Ranson
Victoire Anquetil
Clémence Gross
Awa Joannais
Ninon Raux
Sofia Rosolini
Sébastien Bertaud
Aurélien Houette
Fabien Revillion
Daniel Stokes
Adrien Couvez
Yvon Demol
Antoine Kirscher
Simon Le Borgne
Alexandre Carniato
Takeru Coste
Giorgio Fourès
Nicolas-François Guillard
Chun Wing Lam
Isaac Lopes Gomes
Andréa Sarri
Nikolaus TudorinFaun
Musique :
Claude Debussy – Musique additionnelle : Nitin Sawhney
Chorégraphie :
Sidi Larbi Cherkaoui
Direction musicale :
Vello Pähn
Costumes :
Hussein Chalayan
Lumières :
Adam Carré
Les Étoiles, les Premiers Danseurs et le Corps de Ballet
Orchestre de l’Opéra national de Paris
Danseurs en alternance :
Juliette Hilaire
Clémence Gross
Marc Moreau
Simon Le Borgne1h45 avec 1 entracte
Palais Garnier – du 05 février au 02 mars 2019
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