Bérénice/Paysages présenté au Théâtre de Belleville, Mathieu Montanier fait entendre les vers de Bérénice de Jean Racine. Des paysages mis en scène par Frédéric Fisbach dans une scénographie de Charles Chauvet.
Que les textes classiques font-ils au corps et à l’esprit de ceux qui en incarnent aujourd’hui les personnages ? Quelle relation personnelle un comédien peut-il nouer avec des mots et des intrigues régulièrement mis en scène ? Si chaque mise en scène, chaque adaptation d’une œuvre dite « classique » pose la question, certains artistes font de celle-ci le sujet de leurs spectacles ou de leurs films. Dans L’Amour fou (1969) par exemple, Jacques Rivette filme en parallèle les répétitions d’une mise en scène d’Andromaque de Racine et le quotidien tempêtueux du couple formé par Claire (Bulle Ogier) et Sébastien (Jean-Pierre Kalfon). Au théâtre plus récemment, on pense au passionnant By Heart de Tiago Rodrigues, où celui-ci invite chaque soir un groupe de spectateurs à apprivoiser avec lui un sonnet de Shakespeare. Ou encore à la traversée proustienne émaillée de commentaires d’Yves Noël Genod. Avec Bérénice/Paysages, Frédéric Fisbach s’inscrit à sa manière dans cette belle lignée.
Assis sur une table plantée au milieu d’un vague désordre – quelques bouquets jetés dans un coin, une serviette et quelques autres objets évoquent des coulisses plus qu’ils ne les représentent – , Mathieu Montanier chuchote en se démaquillant. Il faut plisser les yeux pour bien voir son visage qui retrouve sa couleur normale. Il faut tendre l’oreille pour saisir des bribes de qu’il prononce. Pour attraper quelques vers du Bérénice de Racine. À la posture de ce comédien, à sa lenteur qui traduit un mélange de fatigue et de satisfaction, on comprend tout du moment que Frédéric Fisbach a voulu donner à voir : celui qui sépare la sortie de scène du retour au quotidien. Nul besoin de mots pour le décrire. Bien mis en valeur par la sobre scénographie de Charles Chauvet – dont la première mise en scène, La Nuit Animale, est en compétition au Festival Impatience – le corps de Mathieu Montanier l’incarne. Il en est le paysage.
La confiance du metteur en scène dans le jeu de l’acteur est totale et d’autant plus belle qu’elle n’est ni montrée ni formulée. Sans une phrase, elle raconte le mystère du théâtre, la racine de cet art où la coexistence entre personnage et comédien a selon Frédéric Fisbach « plus à voir avec la fragilité d’une alchimie qui cherche, qu’avec l’application de recettes éprouvées ». Elle dit donc la quête d’une justesse qui doit résister au temps, aux répétitions. Aux retrouvailles aussi, dont Bérénice/Paysages est pleine. Retrouvailles entre l’acteur et le texte de Bérénice, dans lequel il se promène à son gré. Entre le metteur en scène et la pièce de Racine, qu’il a mise en scène en 2001 avec le chorégraphe Bernardo Montet, des danseurs et des acteurs. Entre Frédéric Fisbach et Mathieu Montanier également, qui ont déjà travaillé ensemble à deux reprises, dans Dors, mon petit enfant (2001) et dans Animal (2005).
La réussite de toutes ces retrouvailles tient à l’absence totale de nostalgie. En se baladant librement parmi les vers de Bérénice, le délicat Mathieu Montanier place Racine dans un présent dont on sent bien qu’il peut tout changer de la représentation. Cela en s’en tenant presque strictement au texte de la pièce, à un « putain » près qui suggère une pensée du comédien, un imprévu qui perturbe ses projets pour la soirée – le mot est prononcé lorsqu’il allume son téléphone portable – et marque une rupture dans son rapport à la tragédie. S’amusant d’abord avec les répliques de Bérénice, de Titus et d’Antiochus, surjouant l’émotion des amants qui s’aiment mais se quittent et le désespoir de l’amoureux et ami forcé d’étouffer sa passion, il bascule en effet dans un jeu plus « sérieux ». Semble s’identifier à chacun des trois protagonistes en se frayant une voie entre les genres, ou plutôt au-delà. En faisant de la langue de Racine un prolongement de son allure androgyne et rêveuse. Un commentaire de sa vie personnelle. Entre Bérénice et Mathieu Montanier, le charme opère. Et il dure.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Bérénice/Paysages
D’après Jean Racine
Adaptation et mise en scène : Frédéric Fisbach
Assistante à la mise en scène : Margot Segreto
Avec Mathieu Montanier
Scénographie : Charles Chauvet
Création lumière : Léa Maris
Administration, production et diffusion : En Votre Compagnie – Olivier Talpaert, Jean-Baptiste Derouault et Clémence Faravel
Production : Ensemble Atopique II
Avec le soutien du Théâtre de Gennevilliers – Centre Dramatique National
Durée : 50 mins
Avignon Off 2019
Théâtre des Halles
21h30
Du 5 au 28 juillet sauf les 9, 16 et 23
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