À l’occasion des 50 ans de la Maison de la Culture de Grenoble, dont il a été le directeur de 1981 à 1986, Georges Lavaudant a repris un de ses spectacles mythiques : La Rose et la Hache, inspiré d’une adaptation de Richard III par Carmelo Bene. Un geste qui questionne l’évolution des esthétiques et des idéologies durant les dernières décennies.
Pour un metteur en scène, remonter 40 ans en arrière est une démarche quasi-archéologique. Et d’autant plus délicate si elle concerne un spectacle majeur dans le parcours de l’artiste, voire dans l’histoire de la discipline. Or c’est ainsi qu’est considéré La Rose et la Hache, créé en 1979 au Centre Dramatique National des Alpes par son directeur Georges Lavaudant, qui prendra aussi en 1981 la tête de la Maison de la Culture de Grenoble (MC2). Institution à laquelle il a donné un tournant majeur en remettant en cause ses principes fondateurs, « et notamment la place accordée à l’animation culturelle, qui se fait selon, au détriment des artistes », lit-on en introduction du numéro spécial de la Revue d’histoire du théâtre intitulé Maison de la Culture de Grenoble. 1968 : un édifice, des utopies, publié à l’occasion du 50ème anniversaire du lieu célébré le 17 novembre 2018. Jour aussi du baptême de la plus grande des trois salles du lieu au nom de Georges Lavaudant.
Avec la reprise de La Rose et la Hache, c’est donc une page importante du passé théâtral que l’on nous invite à relire. À interroger. Alors perçue comme une déflagration dans le paysage artistique de l’époque, cette pièce allait-elle supporter l’épreuve du temps ? Ou la révolution d’hier serait-elle tournée en désuétude par le théâtre actuel ? Restituée à l’identique ou presque – les changements de distribution n’altèrent pas l’ensemble – , comme elle l’a déjà été en 2004 à l’occasion de la réouverture de la MC2, La Rose et la Hache apparaît à vrai dire aujourd’hui davantage comme un objet muséal que comme une œuvre révolutionnaire. Inspirée d’une adaptation de Richard III par le metteur en scène italien Carmelo Bene, elle témoigne d’un moment de développement du dispositif scénique qui a fait date. D’un « art du discontinu », selon l’expression de Denis Bablet citée dans le livre évoqué plus tôt.
Conçue par Jean-Pierre Vergier, le fidèle scénographe de Georges Lavaudant qui signe aussi la création des costumes et des accessoires, la scénographie de la pièce est en effet la charpente principale du spectacle. Avec le personnage de Richard III, dont l’excellent Ariel Garcia-Valdès – le seul comédien de la distribution initiale – fait un monstre touchant dans sa manière d’exhiber ses plaies et ses bandages. Autour d’une grande table encombrée de verres où stagne un reste de vin, Elisabeth (Astrid Bas), le Roi Edouard (Babacar M’baye Fall), Marguerite (Georges Lavaudant) et Lady Anne (Camille Cobbi, en alternance avec Irina Solano) rejouent les grands épisodes de la pièce de Shakespeare à travers une succession de tableaux plus ou moins hallucinés. Où des enregistrements de la voix de Carmelo Bene et des chansons de variété italienne côtoient des citations de Richard III. Où des habits d’époque sont éclairés par de belles lumières artificielles.
Toute en contrastes, La Rose et la Hache nous ramène à la « quête d’une écriture qui ne soit pas ‘’purement théâtrale’’ », dont Aurélie Coulon rappelle dans La Revue d’histoire du théâtre qu’elle a été entamée par Georges Lavaudant au milieu des années 1970. On y observe encore la double tendance « post surréaliste et néo-godardienne » dont parle la chercheuse en évoquant Palazzo mentale, créée en 1976. Son goût du collage et du montage, de l’éclatement, valant alors au metteur en scène d’être associé à ladite « querelle des images du théâtre français ». Laquelle domine selon l’auteur et critique théâtral Gilles Sandier, dont les propos sont rapportés dans la publication anniversaire de la MC2, « le paysage scénique jusqu’aux années 1980 », remettant en cause « un certain rapport du ‘’théâtre populaire’’ au public : il ne s’agit plus d’éduquer, moins encore d’expliquer, il faut affirmer, jusqu’au risque de la rupture avec les spectateurs, le théâtre comme prise de parole artistique ; arbitraire, poétique, fulgurante, l’image apparaît à certains comme le véhicule idéal de cette revendication ». La Rose et la Hache réveille bien des souvenirs.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La Rose et la Hache
Texte : William Shakespeare, Carmelo Bene
Mise en scène : Georges Lavaudant
Avec : Astrid Bas, Babacar M’baye Fall, Ariel Garcia-Valdès, Georges Lavaudant (distribution en cours)
Décor, accessoires et costumes : Jean-Pierre Vergier
Lumière : Georges Lavaudant
Son : Jean-Louis Imbert
Maquillage, coiffure, perruques : Sylvie Cailler et Jocelyne Milazzo
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta
Production : Odéon-Théâtre de l’Europe, MC2 : Grenoble
Spectacle créé en 1979 et repris en 2004 à la MC2 : GrenobleDurée : 1h
20, 21 novembre à la Scène nationale d’Annecy-Bonlieu
22, 23 janvier 2019 à L’Archipel. Perpignan
16 au 20 mai 2019, au TGP Saint-Denis
superbe spectacle .. je confirme …