Marina & Audrey : deux Sœurs en transe

Photo Pauline Roussille

Au Théâtre des Bouffes du Nord, Pascal Rambert orchestre la mise à mort, à mots nus, d’une relation sororale. Impressionnantes d’intensité, Audrey Bonnet et Marina Hands s’emparent de ce texte spécialement écrit pour elles avec une force rare et bouleversante.

Entrer en théâtre comme on entrerait en colère, avec la même fureur, la même intensité et la même immédiateté. Il ne faut pas plus d’un quart de seconde à Audrey Bonnet et Marina Hands pour empoigner le texte de Pascal Rambert. Arrivées en trombe sur le plateau quasi nu du Théâtre des Bouffes du Nord, elles s’emparent des mots avec une force qui, immédiatement, renverse, se sautent à la gorge avec une vigueur qui, instantanément, bouleverse, et transforment cette nouvelle pièce rambertienne en instant de grâce.

Pendant la première répétition d’Actrice, où les deux comédiennes étaient déjà réunies en tant que sœurs, la plume prolifique de Pascal Rambert s’est agitée et lui a intimé l’ordre d’écrire un texte spécialement pour elles. De cette inspiration fougueuse, le dramaturge a conservé l’élan. Moins doublement ou quadruplement monologué qu’à l’accoutumée, ce dialogue à bâtons rompus a le tranchant d’une lame et la percussion d’une arme. A chaque tirade, la langue sait appuyer là où ça fait mal et construit méthodiquement une avancée vers une mise à mort certaine, dans un assaut verbal qui se révèle plus destructeur que n’importe quel coup.

Carbonisée par des années de ressentiment qui ont anéanti toute sororité, la relation de ces deux sœurs est déjà en cendres. Audrey est journaliste critique, Marina travaille dans une structure pour sauver ces réfugiés qui se noient dans la Méditerranée. L’une juge quand l’autre sauve, et les deux paraissent se haïr dans tout ce qu’elles sont. L’admiration sans bornes qu’elle porte à leurs parents, grand professeur et écrivaine à succès, semble être le seul point qu’elles ont encore en commun.

Plutôt que de se réunir dans la douleur du décès de leur mère, elles ont décidé d’en finir, incapables de recoller, malgré quelques minces tentatives et une danse à la gémellité éphémère, des morceaux depuis trop longtemps dispersés. Dans cette salle de conférence, les chaises sont disposées comme pour mieux accueillir les personnages qu’elles convoquent et dont elles se servent comme autant de munitions. Régis, le mari d’Audrey, Annabelle, la compagne de Marina, le père, déifié, la mère, réifiée, et leurs souvenirs d’enfance ne sont pas des refuges ou des points de convergence, mais des poids, creusets de ce mal-être qu’elles se renvoient au visage.

Pour Audrey Bonnet et Marina Hands, cet affrontement se transforme en rencontre scénique, comme si les deux parties d’un même symbole avaient été réunies pour délivrer son pouvoir théâtral. Les pieds ancrés dans le sol, avec une puissance en mesure de renverser n’importe quelle montagne textuelle, elles se nourrissent l’une l’autre, amplifient leur jeu et subliment leur présence. Encore davantage que dans Actrice, Marina Hands parvient à s’emparer, avec une solidité hors norme, de la langue rambertienne, quand Audrey Bonnet, en habituée qu’elle est de la prose de Rambert, lévite grâce à ce texte qui la transcende. Ensemble, elles incarnent une force, sublime, au pouvoir d’attraction immédiat et forment un duo qui captive, touche et, dans les dernières encablures, bouleverse. De cette « entrée dans le noir » finale, métaphore de la fin d’une vie et d’une relation, nous nous souviendrons longtemps.

Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr

Soeurs (Marina & Audrey)
Texte, mise en scène et installation Pascal Rambert
Avec Audrey Bonnet et Marina Hands
Costumes Anaïs Romand
Assistante à la mise en scène et directrice de production Pauline Roussille
Répétitrice Hélène Thil
Régie générale Alessandra Calabi
Régie lumière Thierry Morin et Grégoire Boucheron
Production déléguée structure production
Coproduction Bonlieu Scène nationale Annecy
Coréalisation C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord

Durée : 1h30

Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
Du 23 novembre au 9 décembre 2018
Panta Théâtre, Caen
Le 22 janvier 2019