Malgré l’engagement sincère des comédiens, la mise en scène malhabile de Gabriel Dufay ne parvient pas à transcender la pièce de Kate Tempest.
Comme une prophétie auto-réalisatrice. Dès les premières secondes de Fracassés, Clément Bresson, Gabriel Dufay et Claire Sermonne, tous alignés en rang d’oignon, avertissent les spectateurs que ce qu’ils s’apprêtent à voir et surtout à entendre n’a rien de novateur, qu’il ne s’agira que d’un triste constat de la réalité, dans ce qu’elle peut avoir de plus banal. Entreprise d’auto-sabotage ou juste lucidité ? Dans tous les cas, cette mise en garde initiale se vérifiera bel et bien, tel un oracle inquiétant.
Pour son cinquième spectacle, Gabriel Dufay endosse le costume d’un chef d’orchestre malhabile, incapable d’organiser une harmonie entre les différents instrumentistes qu’il tient au bout de sa baguette. Tout se passe comme si le jeune metteur en scène n’avait pas réussi à trouver la recette d’un cocktail détonnant en mesure de propulser la pièce de Kate Tempest. Chacun dans leur coin, les différents éléments théâtraux – jeu, texte, décor – semblent dérouler leur partition sans vraiment se soucier de la vue d’ensemble. Non exempt de fausses notes, le tout manque cruellement de fluidité et surtout d’une direction claire.
Quand la vidéo de Pierre Nouvel, aussi élégante soit-elle, se transforme en une facilité purement illustrative pour naviguer de lieu en lieu, sa scénographie, construite à base de panneaux amovibles, est aussi innovante que lourde à manœuvrer. Alors qu’elle pourrait générer de jolies images, Gabriel Dufay ne sait qu’en faire et la laisse se comporter tel un boulet qui leste sa mise en scène au lieu de l’aider à décoller. Malgré l’engagement sincère des trois comédiens, et notamment de Claire Sermonne et Clément Bresson, les instants de pure chorégraphie ne fonctionnent guère, comme engoncés dans la neurasthénie générale.
Or, le texte de Kate Tempest est loin, très loin, de se suffire à lui-même. Pour trouver un quelconque intérêt, la pièce de la jeune poétesse, rappeuse et romancière britannique aurait besoin d’une solide lecture. Montée aussi littéralement, elle s’enferre dans un simple constat du réel, celui de trois londoniens paumés qui s’ennuient dans leurs vies de petit fonctionnaire rangé, de professeure désespérée et de musicien raté qui rêve son existence. Comme nombre de vingtenaires et de trentenaires de notre temps, tous manquent de projets d’avenir et vivent avec les souvenirs d’un passé adolescent enluminé, d’une époque où leur ami Tony était encore en vie et où le quatuor pensait pouvoir ne faire qu’une bouchée du monde.
Ce spleen contemporain, parfois à la limite du geignard, se concentre sur une échelle strictement individuelle. Pris dans une bataille avec eux-mêmes, les personnages semblent être les uniques responsables de leur vie malheureuse et tous les enjeux économiques, sociaux et sociétaux sont évacués, à l’inverse de la filmographie de Ken Loach que Gabriel Dufay cite pourtant comme une œuvre parente dans sa note d’intention. Insuffisamment démontré, tout comme la richesse formelle du texte, leur malaise n’en devient que plus quelconque. Finissant exactement comme elle a commencé, la pièce offre un week-end pour rien à ses personnages et une soirée pour rien à ses spectateurs. On nous avait prévenus.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Fracassés de Kate Tempest
Texte français : Gabriel Dufay et Oona Spengler
Mise en scène : Gabriel Dufay
Avec : Clément Bresson, Gabriel Dufay, Claire Sermonne
Collaboration artistique : Christine-Laure Hirsig
Décors et vidéo : Pierre Nouvel
Costumes : Marie La Rocca
Musique : Kate Tempest
Son : Bernard Vallery
Lumières : Sébastien Marc
Régie vidéo et générale : Jérémy Oury
Regard chorégraphique : Corinne Barbara
Administration : Claire Lamarre
Diffusion et développement : Anne-Sophie Dupoux
Production : Compagnie Incandescence
Coproduction : Maison des Arts de Créteil, Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production, Les Célestins – Théâtre de Lyon Coproduction : La Villette, Paris
L’Adami gère et fait progresser les droits des artistes-interprètes en France et dans le monde. Elle les soutient également financièrement pour leurs projets de création et de diffusion. Action financée par la Région Ile-de-France. L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté (www.arche-editeur.com)
Avec le soutien de Copie Privée.
Durée : 1h45
MAC Créteil du 10 au 13 octobre 2018
Maison de la Culture d’Amiens du 5 au 7 novembre 2018
La Villette Paris du 11 au 15 décembre 2018
Les Célestins à Lyon du 4 au 11 janvier 2019
Nouvelles Scènes Nationales de Cergy Pontoise le 7 mai 2019
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