Dans Philip K. ou la Fille aux cheveux noirs, Julien Villa s’inspire de la vie et de l’œuvre de l’auteur de science-fiction américain Philip K. Dick pour créer un portrait d’écrivain fictif aux accents kafkaïens. Une riche démarche à laquelle le plateau ne rend pas suffisamment hommage.
De l’œuvre de Philip K. Dick, on connaît tous quelque chose. Ne serait-ce qu’indirectement, par les nombreux réalisateurs qu’elle a inspirés : Ridley Scott pour Blade Runner, Paul Verhoeven pour Total Recall, Steven Spielberg pour Minority Report… Mais disons-le d’emblée, ce bagage est un peu léger pour entrer pleinement dans la nouvelle création de l’auteur, metteur en scène et comédien Julien Villa, Philip K. ou la Fille aux cheveux noirs. Née d’an et demie de plongée dans le foisonnant univers de l’écrivain américain – il a écrit plus de quarante roman et cent vingt nouvelles –, puis nourrie par un voyage aux États-Unis et enfin par un travail d’improvisation avec les interprètes (dans le rôle principal, Julien Villa est accompagné de Vincent Arot, Laurent Barbot, Benoît Carré, Nicolas Giret-Famin, Lou Wenzel et Noémie Zurletti), cette pièce entretient un rapport complexe à Philip K. Dick et à son œuvre. Les connaisseurs se plairont certainement à en décrypter la subtilité, à y dégoter de multiples références. Pour les autres, le voyage risque d’être moins exaltant.
L’écrivain paranoïaque qu’incarne Julien Villa ressemble étrangement à l’auteur de science-fiction. Enfermé chez lui où il ne quitte jamais sa robe de chambre, il imagine des mondes où les androïdes sont si semblables aux humains que les distinguer nécessite des opérations complexes. On repense à Contes et légendes de Joël Pommerat, qui ne revendique aucun lien avec Philip K. Dick, mais qui pourrait bien avoir comme Julien Villa fréquenté les mondes parallèles du Maître du Haut Château, de Loterie Solaire ou encore des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?. La comparaison s’arrête là : si Joël Pommerat créée un monde capable d’exister de manière autonome, Julien Villa reste très dépendant de sa référence. Bien que cherchant à « tisser un rapport d’infidèle-fidélité » à Philip K. Dick, il lui demeure si attaché que l’on peine à voir dans son travail une portée plus large qu’un hommage à l’écrivain qui n’a cessé d’affirmer que la réalité n’est qu’une illusion. Une pensée pourtant propice au théâtre, à une réflexion sur les rapports entre la vie.
Afin de faire exister son protagoniste au plateau, Julien Villa le soumet à une suite de visites, dont on ne sait jamais si elles sont réelles ou si elles sont le fruit de son imaginaire perturbé. Sa mère (Noémie Zurletti) vient lui reprocher de ne rien faire de sa vie. Elle lui apporte aussi des stocks de médicaments, en lui indiquant d’improbables posologies. Un amnésique muet, camé (Nicolas Giret-Famin), fait régulièrement irruption dans le salon de l’écrivain en une danse saccadée. Un autre type du même acabit (Laurent Barbot), réchappé du Vietnam, lui rend des visites éclair pour lui délivrer des messages dignes d’une pythie. Un vieil ami (Benoît Carré) se pointe pour lui rappeler des bribes d’une jeunesse qui est déjà derrière lui. Une jeune fille aux cheveux noirs (Lou Wenzel) réveille quant à elle le traumatisme de l’auteur lié au décès de sa sœur jumelle à la naissance… Cette galerie de personnages plus ou moins fantomatiques s’incarne sur scène avec une fortune inégale. Loin de tout réalisme, leur jeu tranche d’une manière trop nette et systématique avec celui de Julien Villa pour créer un véritable trouble.
Ces allers et venues donnent à la pièce des allures kafkaïennes bien ancrées dans l’Amérique de Philip K. Dick. : celle de l’ère Nixon, par qui le héros de Philip K. ou la Fille aux cheveux noirs se sent constamment espionné. De même que par le F.B.I. Le travail de plateau aurait pu donner à sentir au présent les peurs, les urgences de cette période passée, marquée par le maccarthysme. Ce processus d’écriture n’a hélas laissé que peu de traces dans le spectacle, où la place du hasard, de l’accident est visiblement réduite à néant. Le riche et vivant dialogue de Julien Villa et de ses comédiens avec l’auteur des Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, dont témoigne aussi un livre où le texte du spectacle cohabite avec un texte intitulé Jane K, sous texte et cosmogonie de Philip K. ou la Fille aux cheveux noirs , nous parvient d’assez loin.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Philip K. ou la Fille aux cheveux noirs
D’après Philip K. Dick
Pièce écrite au plateau à partir de textes de Julien Villa
Mise en scène : Julien Villa
Avec : Vincent Arot, Laurent Barbot, Benoît Carré, Nicolas Giret-Famin, Julien Villa, Lou Wenzel, Noémie Zurletti
Assistanat à la mise en scène : Samuel Vittoz
Collaboration artistique : Vincent Arot
Scénographie, vidéo : Sarah Jacquemot-Fiumani
Lumières : Gaëtan Veber
Composition musicale : Clémence Jeanguillaume
Production : La Propagande Asiatique et la Compagnie Vous êtes Ici
En coproduction avec le Théâtre de Lorient – CDN, l’Empreinte scène nationale Brive-Tulle
Avec le soutien des Plateaux Sauvages, du Fonds SACD musique de scène et de l’OARA – Office artistique de la Région Aquitaine : en partenariat avec La vie brève – Théâtre de l’Aquarium
Avec l’aide du programme de recherche et de création Hors les murs 2017 de l’Institut Français
En coréalisation avec le Théâtre de la Tempête.
Remerciements au Centquatre, au Studio BeauLabo – Montreuil et au Carreau du Temple
Durée : 1h30
Théâtre de la Tempête – Hors les murs au Théâtre de l’Aquarium
Du 16 septembre au 1er octobre 2020
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !