Le nouveau Sacre de Bartabas
Après le succès du Requiem de Mozart Bartabas a choisi de revisiter pour l’Académie équestre de Versailles sa célèbre chorégraphie du Sacre du Printemps et de la Symphonie de Psaumes de Stravinsky. Créées en 2000 à Amsterdam pour le Théâtre Zingaro, ces deux chorégraphies encadraient le Dialogue de l’Ombre Double de Pierre Boulez pour le spectacle Triptyk qui fut joué dans le monde entier de Moscou à Los Angeles. Pour cette recréation, les voltigeurs de Zingaro feront place aux écuyères de l’Académie. Rencontre avec Bartabas pendant les répétitions à Versailles.
Est-ce que l’Académie Equestre de Versailles est votre deuxième maison après Zingar à Aubervilliers ?
Je trime dans le 93 pour pouvoir leur payer une belle école dans le 78. Et ici on est dans la transmission. C’est une compagnie école, le temps est organisé pour les cavaliers et les chevaux. Et puis il y a une notion de répertoire ici qu’il n’y a pas à Zingaro. A Zingaro, on ne reprend pas nos anciens spectacles.
Est- ce que vous travaillez différemment ici par rapport à Aubervilliers ?
C’est différent, ça me fait du bien, ici il y a de la jeunesse et de l’enthousiasme, cela me porte. C’est important à mon âge. Le temps n’est pas le même, ici je viens une fois par semaine. Les cavaliers sont capables de s’organiser eux-mêmes, ils ont une indépendance qui fait partie de la transmission. Ils n’apprennent pas seulement à être des cavaliers artistes, ils apprennent aussi à gérer une compagnie, à s’organiser. Je n’ai pas souhaité enseigner ici, je souhaite avoir un rapport de chorégraphe-metteur en scène avec eux, et pas un rapport de professeur-danseur.
Que deviennent ces cavaliers ensuite ?
C’est un peu comme à l’opéra ici, il n’y a pas de cursus. On n’a jamais fini d’apprendre. L’objectif est qu’ils restent depuis longtemps. Il y a trois titulaires présents ici depuis la création de l’Académie. Ce sont des transmetteurs. On a développé notre propre méthode. Certains partent dans d’autres compagnies mais le but c’est un peu comme à l’Opéra de Paris, on forme des petits rats jusqu’aux danseurs étoiles, voir même devenir administrateur. Mais c’est un peu plus modeste.
Certains passent-ils chez Zingaro ?
Non je sépare bien les choses. Je ne sers pas de l’Académie pour Zingaro. Les techniques ne sont pas les mêmes. A Zingaro, on est plus sur des notions de voltige, ici on est plus sur le dressage. En revanche, une des titulaires a passé 10 ans à Zingaro.
Est-ce que vous concevez les spectacles différemment ici par rapport à Zingaro ?
Pas vraiment, ici les cavaliers sont plus malléables, ils sont devenus comme un corps de ballet grâce aux enseignements de danse, de chant, de Kūdō qu’ils reçoivent. Cela leur donne une gymnastique d’esprit, ils ont plus de répondant. Cela ne signifie pas qu’il n’y ait de discipline de travail, mais elle est différente car on travaille ensemble depuis plus de 30 ans.
Et Bartabas est-t-il différent dans le 93 ou le 78 ?
Ça il faut le leur demander !
Ce Sacre et cette Symphonie des Psaumes a été créé en 2000. Pourquoi le reprendre ?
C’est la première fois que je reprends un spectacle. A Zingaro, les spectacles sont écrits pour des chevaux à des moments précis de leur vie. Et le seul spectacle que j’ai chorégraphié avec des groupes de chevaux, c’était Triptyk: le Sacre du Printemps, la Symphonie des Psaumes et le Dialogue de l’ombre double de Pierre Boulez qui accompagnait les sculptures de Jean-Louis Sauvat. L’académie a été créée juste après Triptyk parce que j’avais un groupe de chevaux crème aux yeux bleus et je savais que je ne pourrai pas les réutiliser chez Zingaro. Ils ont donné le ton à l’Académie. Ce qui est touchant, c’est que ce sont les cavalières de l’Académie qui seront à cheval, donc la lecture du Sacre est différente, le sacrifice étant celui qui n’a pas le cheval ce sont des des danseurs indiens de kalarippayat qui sont au sol.
Ce qui change aussi c’est ce Pierre Boulez n’est plus là !
Et oui, ce qui avait séduit Pierre Boulez dans le projet c’est que l’on ajoute la la Symphonie des Psaumes de Stravinski qui est moins connue, c’est une pièce sacrée qui contrebalance la fête païenne et il venait de l’enregistrer avec l’orchestre de la BBC donc ça tombait bien. Une des choses a été décisive dans la reprise c’est Mikko Franck et l’envie ancienne de collaborer avec l’orchestre Philharmonique de Radio France. Et j’’ai été séduit par la version des deux pièces qu’il a donné en concert. C’est la première fois que j’entends un Sacre depuis Boulez qui me séduit. C’est compliqué le Sacre, il ne faut pas mettre trop de sentiment. Comme disait Boulez: “faut jouer la partition, point”.
Quand on assiste à des spectacles à Zingaro, on faut toujours attention à ne pas faire trop de bruit pour ne pas gêner les chevaux, là avec les musiciens et la puissance de la musique, comment-allez-vous faire ?
C’est mon angoisse. Quand on a joué en 2000 avec l’orchestre de Paris, on avait joué la pièce dans le monde entier, le spectacle roulait avec une bande son. Là les temps de répétition sont plus brefs, et on a peu de temps avec l’orchestre. Il faut y aller progressivement, que les chevaux soient au pas en entendant la musique. On a beau répété avec une sono très forte, cela n’a rien à voir avec l’impact d’un orchestre, avec tous les cuivres. Si les chevaux ont peur une fois, il faut passer beaucoup de temps à les rassurer, donc il faut avancer progressivement. Le cheval ne peut pas se mettre dans sa bulle comme un comédien.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
La Villette
du 16 au 28 avril 2020
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