Avec le Collectif artistique du Théâtre de Lorient qu’il dirige, Rodolphe Dana crée un Misanthrope dont la bouffonnerie de mauvais goût s’éparpille dans des directions multiples. Toutes loin de Molière.
Avant même que ne commence le dialogue d’Alceste et de son ami Philinte, le caractère composite du Misanthrope de Rodolphe Dana déconcerte. Tandis que des lustres de style baroque brillent en fond de salle, quelques-uns des sept comédiens de la pièce entrent et sortent de scène, comme pour les derniers préparatifs d’une fête. D’autres se promènent dans la salle, où ils accueillent les spectateurs qui s’installent d’un « Bonjour Monsieur le Prince, comment allez-vous ? », ou d’un équivalent féminin. D’emblée, l’alliance du chic et du décontracté, voire du vulgaire, penche du deuxième côté. Impossible pourtant de dire où l’on est, ni où l’on va. On ne le saura hélas pas davantage après deux longues et laborieuses heures de représentation.
À eux seuls, les costumes apparaissent comme un aveu d’égarement. Tous en culottes courtes et bouffantes, les jambes nues et le reste couvert de déguisements impossibles à identifier – Rodolphe Dana, par exemple, est affublé pour le rôle central d’une simple chemise qui laisse apparaître une ceinture pour armes de poing, tandis que Maxence Tual est un Oronte à plumes de paon et tunique cousue de boutons et de pièces de monnaie – , les messieurs sont de loin les moins avantagés. La mise en scène et le jeu sont à l’avenant : en plus d’être mal assortis les uns aux autres, ils présentent chacun un visage trop disparate pour permettre une lecture singulière du Misanthrope. La tension entre l’Être et le Paraître, qui oppose dans la pièce de Molière le misanthrope Alceste aux autres personnages, se dissout ainsi dans une suite de tentatives de séduction aussi ratées qu’hybrides.
Aucune trace, dans ce spectacle, de la méthode de travail qu’avait développée Rodolphe Dana au sein du collectif Les Possédés, qu’il a co-fondé en 2002. Et avec lequel il a monté de nombreux spectacles, parmi lesquels Oncle Vania et Platonov de Tchekhov, Le Pays lointain et Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, à une époque où les collectifs étaient loin d’être aussi répandus qu’aujourd’hui. La liberté, l’imagination qu’il y déployait font cruellement défaut au Misanthrope, où seules quelques phrases – et pas des meilleures – s’ajoutent au texte de Molière. Pas d’improvisation, donc, dans ce spectacle. Pas davantage que dans Price d’après Steve Tesich (2017), la première création de Rodolphe Dana à la tête du Théâtre de Lorient. Le Misanthrope est triste comme un deuil inachevé. Celui du défunt collectif, sans doute trop vite remplacé par un nouveau.
Trop appuyées, les pitreries des uns et des autres n’apportent aucune consolation. En plus de rendre inaudibles bien des alexandrins, elles soulignent la laideur et l’incohérence des costumes. Elles annulent le tragique qu’il y a dans l’amour impossible d’Alceste pour la coquette Célimène, interprétée par une Émilie Lafarge toute en minauderies et en cabrioles. Sans parvenir à chasser l’ennui qui s’installe rapidement, les chansons, les jeux de lumière – toute une partie de l’acte 2 se fait à la lampe torche – et autres artifices de mise en scène qui ponctuent le spectacle n’ont pas d’autres effets. Sous ses culottes courtes, ce Misanthrope est tout nu.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Misanthrope de Molière
Création collective dirigée par Rodolphe Dana
Avec Julien Chavrial, Rodolphe Dana, Katja Hunsinger, Émilie Lafarge, Marie-Hélène Roig, Antoine Sastre, Maxence Tual
Scénographie, Rodolphe Dana
Avec la collaboration artistique de Karine Litchman
Lumières, Valérie Sigward
Costumes, Élisabeth Cerqueira assistée de Sidonie Andru-Michel, Maïalen Arestegui, Lisa Beaugey, Blanche Machinal, Claire Michau et Bérengère Penvern
Construction décor, Pierrick Bellec, Marie-Pierre Favre-Bully, Dany Huet et Eric Raoul
Production Théâtre de Lorient, Centre dramatique national
Coproduction Maison de la Culture de Bourges / L’Archipel, Pôle d’action culturelle – Fouesnant-Les Glénan / Le Canal – Théâtre du Pays de Redon, Scène conventionnée pour le théâtre / Théâtre du Champ au Roy, Scène de Territoire – GuingampDurée : 2 heures
Le Monfort Théâtre, Paris
Du 22 janvier au 1er février 2019Maison de la Culture de Bourges
Du 5 au 7 février
Scène nationale d’ Aubusson
Le 14 févrierLe Parvis, Scène nationale Tarbes Pyrénées
Du 19 au 21 févrierLe Grand T – Nantes
Du 25 février au 2 marsQuai des rêves, Centre culturel de la ville de Lamballe
Les 7 et 8 mars
Bravo! C’est drôle! Merci à la troupe pour ce spectacle. Bravo pour l’adaptation et la mise en scène de ce classique.