Après s’être emparé du « Antigone » de Sophocle, le metteur en scène japonais réinvestit le champ mythologique et adapte la première partie de la « Red in blue trilogie » de Léonora Miano. Empreinte d’une extrême douceur, sa mise en scène déploie un univers céleste où l’élégance le dispute à la délicatesse.
Satoshi Miyagi est un homme de théâtre singulier, plus proche du maître de cérémonie que du metteur en scène classique. A l’instar de son « Antigone » donné en 2017 dans la Cour d’honneur du Palais des Papes, « Révélation » ouvre, dès les premières minutes, une parenthèse hors du temps, un moment suspendu qui, entracte exclu, ne relâche le spectateur que trois heures plus tard, une fois le rituel arrivé à son terme.
Avec son adaptation de la première partie de la « Red in blue trilogie » de Léonora Miano, le metteur en scène japonais réinvestit le champ mythologique qui sied si bien à son art théâtral. Loin des tourments terriens de la fille d’Œdipe, il s’invite cette fois auprès d’Inyi, figure de la divinité créatrice de l’univers. Habituée au calme de cet ersatz de purgatoire où elle exerce une autorité sans partage, la déesse doit gérer une situation inédite : à la suite d’une discussion avec Ubuntu, l’esprit des disparus sans sépulture de la traite transatlantique, Mayibuye refuse de s’incarner dans le corps des nouveau-nés. Pour reprendre cette mission essentielle à l’équilibre de l’univers, la figure des âmes à naître dans le Pays premier exige d’entendre le récit des « rois nègres », qui ont participé au commerce triangulaire, dans l’espoir de permettre aux âmes errantes des disparus en mer de trouver enfin la paix.
De ce sujet grave, Léonora Miano aurait pu extraire une pièce sévère. Elle se révèle, au contraire, fondamentalement aérienne, mue par une logique allégorique, où l’écoute et la compréhension surpassent la vengeance et le ressentiment. Pour autant, l’autrice franco-camerounaise connaît trop bien ce pan historique pour s’adonner à une quelconque simplification. Au fil des confessions des rois et des nobles fournisseurs de captifs, se dessine une histoire de l’Afrique qui remet en question la conception occidentalisée d’Africains qui auraient, sans vergogne, livré leurs frères de sang à l’ennemi européen. La réalité exposée, celle d’une lutte de clans, se fait plus diverse, plus fragmentée, plus juste aussi.
Sans effacer la frontière entre le bien et le mal, le spectacle de Satoshi Miyagi alimente cette belle tentative d’apaisement des âmes et des tourments anciens. Dans sa mise en scène empreinte d’une incomparable douceur, tout converge vers l’élégance et la délicatesse. Porté par la sophistication et le raffinement des costumes, le jeu précis, cadencé et quasiment ritualisé des comédiens – bien plus tonique que dans « Antigone » – se mêle à une scénographie à la fois impressionnante et épurée. Surtout, la musique d’Hiroko Tanakawa joue un rôle primordial. Omniprésente, elle soutient l’entièreté du spectacle, y compris dans ses quelques longueurs, lui donne son rythme et sa profondeur grâce à la qualité d’interprétation de musiciens hors-pair, dont l’art aura rarement autant contribué à charmer les esprits.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Révélation de Léonora Miano
mise en scène Satoshi Miyagi
avec la troupe du Shizuoka Performing Arts CenterSpectacle en japonais surtitré en français
Production SPAC Shizuoka Performing Arts Center
Coproduction La Colline – théâtre national
Édition Red in Blue Trilogie : Révélation est paru à L’Arche Editeur en 2015.Durée : 2h50 entracte compris.
La Colline – théâtre national
du 20 Septembre au 20 Octobre 2018
du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30 et le dimanche à 15h30
création à La Colline
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