Oskaras Koršunovas est de retour au Festival d’Avignon avec une version de Tartuffe détonante, dont il modifie la fin et lui donne une tonalité plus politique que religieuse. Il amène aussi un peu de rire dans une édition 2018 à la tonalité bien sombre.
La Lituanie, le pays d’origine d’Oskaras Koršunovas, indépendant depuis 1990, observe avec méfiance la montée du populisme chez ses voisins des pays baltes et surtout dans la Russie de Poutine. Sa Présidente, Dalia Grybauskaitė a même appelé l’Occident à se préparer à une invasion russe. Son pays a entamé la construction d’un mur long de 44,6 km à la frontière russe ! Des données qu’il convient d’avoir en mémoire pour suivre ce Tartiuffas d’Oskaras Koršunovas. Ici Tartuffe et Orgon sont deux opposants politiques. On est loin de la version catholique de la pièce originale de Molière, et c’est ce qui rend cette version passionnante.
Scénographiquement Oskaras Koršunovas sort le grand jeu. La maison d’Orgon est un jardin labyrinthique délimité par des haies de buissons sur un plan incliné permettant une visibilité parfaite pour le public. Le metteur en scène lituanien nous avait habité à des scénographies beaucoup légères. On se souvient du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare en 2011 sur un plateau nu, avec vingt acteurs et pour seul décor des planches de bois ! Ici c’est le grand luxe. Il fait entrer la vidéo dans sa scénographie, mais étonnamment ne sonorise pas les comédiens. Le quadra de Vilnius (il aura 50 ans l’année prochaine) fait de la résistance tout en utilisant les moyens techniques de son époque. Et notamment les réseaux sociaux. Il a créé un faux profil Facebook pour la campagne politique d’Orgon.
Tartuffe vient foutre le bazar dans la maison d’Orgon. Il n’a qu’une idée en tête: prendre le pouvoir sur son ennemi Orgon. Il y parviendra, malgrè la vigileance d’Elmire qui dévoile au grand jour la vraie facette de l’imposteur, notamment dans la grande scène de la table. Ici Orgon n’est pas caché sous un drap comme dans toutes les mises en scène, il observe le piège sous un banc en plexiglas. Oskaras Koršunovas révèle l’attirance sexuelle d’Orgon pour Tartuffe, il profite du stratagème de sa femme pour effleurer la main de l’imposteur, puis l’embrasse langoureusement avant que la scène ne s’achève dans un début de ménage à trois.
Les comédiens d’Oskaras Koršunovas sont remarquables. Toma Vaškeviciute remporte tous les suffrages pour sa composition du rôle d’Elmire, femme pulpeuse dans sa robe moulante rouge laissant apparaître ses rondeurs. Irrésistible lorsqu’elle chante le « pou pou pidou » reproduisant les mimiques de Marilyn Monroe dans Certains l’aiment chaud. Nelé Savicenko dans le petit rôle de Madame Pernelle est à mourir de rire dans son tailleur en laine, pointant en permanence un colt et lançant à la fin de sa première réplique, »Mon rôle est tout petit« , promettant de revenir avant la fin du spectacle. Les comédiens distillent de temps à autre des phrases en français, des petites répliques sous forme de plaisanteries bien senties. Le tout étant servie par une musique baroque électro revisitée par Gintaras Sodeika et jouée aux claviers par Joris Sodeika au milieu d’éclairages stroboscopiques imaginés par Eugenijus Sabaliauskas.
Tartuffe finira par manipuler la famille d’Orgon pour en faire des marionnettes et prendre le pouvoir, malgré la présence désœuvré de l’huissier Monsieur Loyal et les explications de Valère qui n’empêchent pas Tartuffe de s’élever telle la statue du Commandeur au milieu du jardin, le bras levé, tandis que les personnages chancellent au milieu des buissons. Morale de l’histoire selon Oskaras Koršunovas: méfions-nous de l’eau qui dort. Les nationalistes sont à nos portes et peuvent profiter à tout moment de la crédulité d’un peuple, emporté par exemple par la liesse d’une victoire en finale de la Coupe du Monde de Football. Les équipes de Koršunovas ont filmé les supporteurs de l’équipe de France dans les rues d’Avignon pendant la finale face à la Croatie, avec un Tartuffe rieur au premier plan, récupérant l’événement à son propre compte. On peut lire sur son clip de campagne: « Leur dévotion est humaine« .
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Avec Remigijus Bucius, Kestutis Cicenas, Vesta Grabstaite, Darius Meškauskas, Eimantas Pakalka, Agnieška Ravdo, Rasa Samuolyte, Giedrius Savickas, Nelé Savicenko, Salvijus Trepulis, Toma Vaškeviciute
Et Joris Sodeika (piano)Texte Molière
Traduction Aleksys Churginas
Mise en scène Oskaras Koršunovas
Chorégraphie Vesta Grabštaité
Musique Gintaras Sodeika
Scénographie Vytautas Narbutas
Lumière Eugenijus Sabaliauskas
Vidéo Algirdas Gradauskas
Costumes Sandra Straukaité
Assistanat à la mise en scène Antanas ObcarskasProduction Lithuanian National Drama Theatre
Spectacle en lituanien surtitré en français
Durée : 2h10Festival d’Avignon 2018
Opéra Confluence
Du 17 au 21 juillet
18hdu 14 au 16 nobembre au Festival Les Boréales de Caen
du 20 au 22 novembre au Festival Next à Lille
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