Pour l’ouverture de la saison 2020/2021 de la Comédie-Française, Nicolas Lormeau reprend son seul en scène Les forçats de la route dans lequel il retrace les 15 étapes de la Grande Boucle 1924, méticuleusement suivie par Albert Londres. Malgré une mise en scène un brin datée et répétitive, le comédien s’appuie sur la langue imagée du journaliste orfèvre pour en dévoiler avec passion et talent les 1.000 facettes.
Beaucoup de sueur, un peu de sang et quelques larmes. Le Tour de France 1924 décrit dans Les Forçats de la route n’a pas grand-chose à voir avec la Grande Boucle ripolinée d’aujourd’hui, ses vélos high-techs et ses sportifs surhumains. La plume plantée dans les plaies des coureurs, la figure tutélaire du journalisme Albert Londres en dissèque toutes les souffrances. De Paris au Havre, des Sables d’Olonne à Bayonne, de Perpignan à Toulon, de Strasbourg à Dunkerque, en passant par les Alpes et les Pyrénées, le reporter spécialement dépêché pour couvrir l’évènement offre une plongée dans la préhistoire d’un Tour de France qui, à l’époque, suivait encore minutieusement les contours de l’Hexagone.
Au fil des quelque 5.400 kilomètres parcourus, des étapes interminables dont la plus courte est plus longue que la plus longue des étapes actuelles, des départs au beau milieu de la nuit et des arrivées 20 heures plus tard, le journaliste version grande époque montre un « Tour des souffrances » où les crevaisons sont légion, la poussière asphyxiante, les accidents de voiture réguliers. Loin de l’épopée reluisante, il dit tout de ces douleurs qui étreignent les coureurs, de cette boue qui macule, de ce dopage artisanal ingurgité à grandes poignées de pilules et d’anesthésiants. « On s’habitue à tout, il suffit de suivre le Tour de France pour que la folie vous semble un état de nature », écrit-il.
Ce portrait, à la fois apocalyptique et superbe, compassionnel et humain, Nicolas Lormeau s’en est emparé pour mettre au point son « Singulis », seul en scène qui, à la Comédie-Française, propose à un comédien de choisir un texte, de le monter et de l’interpréter. Le choix fut logique pour cet amateur de la petite reine. Celui qui, certains jours, peut avaler des dizaines de kilomètres « le cul sur un vélo » s’approprie avec une passion et une gourmandise non feintes les histoires finement ciselées d’Albert Londres. Il incarne avec la même aisance le reporter, obligé de dicter ses papiers au téléphone, et la cohorte des coureurs, de l’anonyme oublié à Ottavio Bottecchia, le vainqueur de cette 18e édition.
Desservi par une mise en scène trop répétitive dans son déroulé, et une scénographie un peu datée avec son chevalet hors d’âge, ses airs d’accordéon et ses photos en noir et blanc, Nicolas Lormeau profite de la langue imagée, emplie de proximité et humainement descriptive d’Albert Londres. En même temps que la silhouette des coureurs partis 157 et arrivés 60, il dessine le portrait de cette France enthousiaste et conquise qui voit se masser plus de 10 millions de personnes aux bords de ses routes et au cœur de ses villes. Contrefort de l’évènement sportif, cette ferveur populaire va de pair avec le panache des cyclistes. Des forçats de la route un peu fous, mais tellement fiers.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Singulis / Les Forçats de la route
d’Albert Londres
Conception et interprétation Nicolas Lormeau
Musique originale et bande son : Bertrand Maillot
Avec la voix de Pierre Hancisse
Durée : 1h20
Studio Théâtre de la Comédie-Française
DU 11 SEPTEMBRE AU 4 OCTOBRE 2020
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !