Paul Desveaux s’empare de Lulu, la mythique « tragédie monstre » de Frank Wedekind. Malgré des emprunts au cirque et à la marionnette, il échoue à en traduire la force et la singularité.
Femme fatale et femme-objet, monstrueuse et innocente, sublime et vulgaire… Paradoxale au point d’en être insaisissable, l’héroïne éponyme de Lulu de Frank Wedekind (1860-1918) n’a cessé de fasciner depuis l’écriture tumultueuse de la pièce qui, victime de la censure dans sa première mouture de 1894, fut réécrite à plusieurs reprises. Jusqu’à une version définitive en 1913, qui avant la mise en scène Peter Zadek en 1988 était la seule à être connue du public français. Comme Patrice Chéreau, et plus tard Robert Wilson ou encore Stéphane Braunschweig, le metteur en scène Paul Desveaux se mesure au mythe qui a traversé les siècles. Sans parvenir à trouver un langage capable d’en réactiver le choc.
Comme le suggère le prologue de L’esprit de la terre, première des deux parties de la pièce, Paul Desveaux ancre la « tragédie monstre » – sous-titre de la seconde partie, La Boîte de Pandore – dans une ambiance de cirque. Celle des petites troupes itinérantes en voie de disparition, au charme un peu poussiéreux. Le torse bombé dans un costume de Monsieur Loyal, Baptiste Roussillon ouvre en effet au début de la pièce par un court bal désordonné en enjoignant chacun – comédiens et public confondus – à « entrer dans la ménagerie ». Et à « voir d’un ardent plaisir et d’un effroi glacial la créature sans âme domptée par le génie humain ».
L’arène aurait sans doute gagné à être nourrie par les audaces formelles du nouveau cirque plutôt que par l’imagerie du cirque traditionnel. Chez Paul Desveaux, la dimension surannée de l’univers choisi l’emporte sur le risque et le déséquilibre qui font du cirque un lieu de remise en cause des certitudes et des apparences. Projet également au cœur de Lulu, dont l’auteur disait en 1892, dans son journal intime, vouloir faire une « tragédie à faire frémir ». Bien que portée par pas moins de quatorze interprètes, dont dix acteurs – avec Anne Crescent dans le rôle principal –, trois musiciens et un acrobate, l’histoire de l’ascension puis du déclin de Lulu, jeune femme pauvre recueillie à l’âge de douze ans par le riche Schön (Serge Biavan) manque ici de rythme et d’ambiguïté.
Presque aussi indépendantes les unes des autres que les numéros d’un spectacle de cirque traditionnel, les différents épisodes de l’existence mouvementée de Lulu sont abordés par Paul Desveaux de manière très linéaire. Sans véritable réalisme psychologique mais sans étrangeté particulière. Dans un entre-deux dont le flou fait davantage penser à un défaut de direction d’acteur qu’à un parti-pris. Souvent affublée de tenues au kitsch de cour d’école – le rose bonbon est une des constantes de la garde-robe bien fournie qu’on la voit utiliser tout au long de la pièce – Anne Crescent fait ce qu’elle peut pour donner de l’épaisseur à son personnage. Mais, comme ses compagnons de scène, elle peine à s’affranchir des faiblesses de la mise en scène.
Les mariages successifs de Lulu, la violence et le suicide de ses époux ont chez Paul Desveaux la couleur sépia de vieilles photos mal colorisées. Si on comprend bien ce que peut nous dire aujourd’hui le théâtre de Frank Wedekind, les quelques beaux moments de la pièce de 2h15 – le bal du début du quatrième acte par exemple, dont les danseuses sont des marionnettes à taille quasi-humaine imaginées par Bérangère Vantusso – ne suffisent pas à nous le faire ressentir. Dans le petit cirque de Paul Desveaux, le monstre a oublié de faire son numéro.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
LULU
de Frank Wedekind
mise en scène & scénographie Paul Desveaux
assistante à la mise en scène Amaya Lainez
musique Vincent Artaud
chorégraphie Cécile Loyer
lumière Laurent Schneegans
costumes Alexia Crips Jones
conceptrice marionnette Einat Landais
avec Antoine Berry-Roger, Serge Biavan, Ninon Brétécher, Fabrice Cals, Anne Cressent, Daniel Delabesse, Andréas Goupil, Thomas Harel, Jonas Leclere, Alain Payen, Baptiste Roussillon
musiciens Michaël Felberbaum guitare, David Grébil batterie/percussions, Vincent Lafont synthé/claviers
Coproduction
Centre Dramatique National Normandie-Rouen, Le Volcan/Scène Nationale du Havre, Théâtre de l’Union/Centre Dramatique National du Limousin, Le Tangram/Scène Nationale Evreux-Louviers
Durée: 3h15 avec entracteCentre Dramatique National Normandie-Rouen 8 & 9 novembre 2017
Le Tangram Scène Nationale Evreux-Louviers 14 & 15 novembre 2017
Le Volcan Scène Nationale du Havre 21 & 22 novembre 2017
Ma Scène Nationale Montbéliard 28 novembre 2017
Théâtre de l’Union Centre Dramatique National du Limousin 5, 6, 7 décembre 2017
Lulu Théâtre 71 Scène Nationale de Malakoff du 10 au 19 janvier 2018
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