En ouverture du Festival d’Automne, Simon McBurney présente le fruit de sa première collaboration avec la Schaubühne de Berlin : une adaptation crépusculaire et haletante de La Pitié dangereuse, l’angoissant roman de Stefan Zweig. Écrit comme un film, c’est un grand spectacle.
Publié en 1939 à Londres où l’écrivain juif autrichien est contraint à l’exil face à la montée du nazisme, le roman met en scène un monde au bord de l’effondrement. L’action située en 1913 dans un empire austro-hongrois en plein délitement est un habile retour en arrière qu’opère Stefan Zweig à la veille de la Seconde Guerre mondiale pour mieux décrire les turpitudes de son temps menacé.
La mise en scène de McBurney oscille également entre les époques avec des costumes d’hier et des moyens bien d’aujourd’hui. Baigné dans une semi-obscurité cauchemardesque, le plateau évoque une salle de musée ou un studio d’enregistrement. Captée sur le vif, la parole des interprètes simplement assis derrière des bureaux ou des pupitres comme isolés dans leur monde intérieur (Zweig a fréquenté Freud et s’intéresse à la psychanalyse) permet la réanimation du souvenir et le déroulement progressif de l’intrigue tragique dans l’apparente incommunicabilité d’un grand espace vide et éclaté.
Techniquement à la pointe, le spectacle travaille sur le son et l’image fabriqués en direct. Des effets malins et frappants – même si, parfois, non dénués de lourdeur – servent une narration originale et inventive dans la mesure où tous les éléments du livre s’enchaînent avec une vélocité confondante. Si, au départ, le dispositif semble froid et austère, très vite, il s’emballe, toujours soucieux de l’intensité dramatique, et captive en empruntant sa forme au cinéma muet, au théâtre radiophonique, à la pantomime…
Une restitution plus humble aurait sans doute permis une compréhension plus sensible des finesses du texte, de la faiblesse de son héros, l’ambitieux et misérable officier Hofmiller, conduit par une simple gaffe dans une chute précipitée. Coupable d’une maladroite invitation à danser adressée à la jeune paralytique Edith et pris d’une irrépressible pitié pour elle, il feint l’amour et promet le mariage à cette fille de Baron qui ne lui inspire que répulsion. Gentille ou insolente, Marie Burchard l’interprète avec des emportements singuliers et enfantins. Le malheureux lieutenant possède la jeunesse timide et solaire de Laurenz Laufenberg et la maturité plus réfléchie et tourmentée de Christoph Gawenda, deux comédiens dotés d’une grande prestance. A la fois narrateurs et acteurs de l’histoire, tous les acteurs sont brillants et profonds au service d’une lecture limpide mais exigeante du récit offerte par le grand metteur en scène britannique avec toute l’acuité et l’humanisme qui caractérisent son art.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
La pitié dangereuse de Stefan Zweig
Mise en scène, Simon McBurney
Avec Marie Burchard, Robert Beyer, Johannes Flaschberger, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Laurenz Laufenberg, Eva Meckbach
Assistant mise en scène, James Yeatman
Adaptation, Simon McBurney, James Yeatman, Maja Zade et l’ensemble
Scénographie, Anna Fleische
Costumes, Holly Waddington
Lumières, Paul Anderson
Son, Pete Malkin
Assistant son, Benjamin Grant
Vidéos, Wild Duke
Dramaturgie, Maja Zade
Coproduction Complicité ; Schaubühne Berlin // Coréalisation Les Gémeaux, scène nationale de Sceaux ; Théâtre de la Ville-Paris ; Festival d’Automne à Paris // Avec le soutien de l’Adami // En partenariat avec France Inter // Spectacle créé le 22 décembre 2015 à la Schaubühne Berlin
Durée : 2hFestival d’Automne dans le cadre de la saison hors les murs du Théâtre de la Ville
Les Gémeaux / Scène Nationale
14 au 24 septembre 2017
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