Bien que toujours vilipendée, l’Iphigénie en Tauride de Gluck mise en scène par Krzysztof Warlikowski au Palais Garnier suscite, dix ans après sa création, un choc bouleversant. Après Susan Graham et Mireille Delunsch, Véronique Gens apporte toute sa sensibilité au rôle.
Alors que retentit l’orageuse ouverture de l’opéra composé par Gluck, c’est une tempête intérieure que met en scène Warlikowski, celle qui hante Iphigénie. Autrefois sauvée du sacrifice et retirée sur les terres étrangères de Tauride, l’héroïne grecque prend les traits d’une vieille femme fragile et chancelante qui, derrière une élégance kitsch ostentatoire, camoufle la déchéance de son corps et son esprit. Survivante d’une famille éteinte dans le sang et la barbarie, recluse dans la chambre-dortoir d’une misérable maison de retraite, elle chante son malheur et se remémore les épisodes traumatiques de sa vie passée entre torpeur et résilience.
En dédoublant le rôle-titre et en faisant se télescoper les temporalités, la mise en scène complexe de Warlikowski reconstitue l’histoire du personnage sous la forme de visions vacillantes et cauchemardesques. Des flashs furtifs réactivent les souvenirs de l’héroïne en faisant se confondre réalité et fantasmes mâtinés d’érotisme et de psychanalyse. Comme il le fera aussi dans sa subversive Médée de Cherubini, Warlikowski impose une proximité nette entre le mythe et l’époque actuelle.
A la direction de l’orchestre de l’Opéra de Paris, Bertrand de Billy propose de l’œuvre une lecture intimiste, introspective, toute en mesure et en douceur, bien éloignée des sécheresses et des exaltations passionnées des ensembles baroques (le bouillonnant Mark Minkowski à la tête de ses musiciens était en fosse lors de la création). Dans le chant comme dans le jeu, les interprètes offrent de grandes qualités. Le couple que forment Oreste et Pylade profite des belles et puissantes interprétations d’Etienne Dupuis et Stanislas de Barbeyrac. Rompue aux écritures scéniques contemporaines de Bieito, Loy ou Fischer, Véronique Gens est à la fois fine musicienne et grande tragédienne. Après avoir donnée une royale Alceste, elle campe avec aisance une Iphigénie pleine de noblesse et de fragilité, particulièrement troublante et profondément humaine.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr – lors de la création en 2016
Iphigénie en Tauride
Tragédie lyrique en quatre actes (1779)
Musique
Christoph Willibald Gluck
Livret
Nicolas-François Guillard
D’après Guymond de La Touche
d’après Euripide
En langue française
Direction musicale
Thomas Hengelbrock
Iñaki Encina Oyón – (2 octobre)
Mise en scène
Krzysztof WarlikowskiDistribution de la reprise en sept/oct 2021
Iphigénie :
Nicole Chevalier
Oreste :
Jacques Imbrailo
Pylade :
Julien Behr
Thoas :
Jean‑François Lapointe
Diane, Première Prêtresse :
Marianne Croux
Une femme grecque, Deuxième Prêtresse :
Jeanne Ireland
Un Scythe, Un ministre :
Christophe Gay
Iphigénie (comédienne) :
Agata BuzekDécors
Malgorzata Szczesniak
Costumes
Malgorzata Szczesniak
Lumières
Felice Ross
Vidéo
Denis Guéguin
Chorégraphie
Claude Bardouil
Dramaturgie
Miron Hakenbeck
Chef des Choeurs
Alessandro Di Stefano
Orchestre et Choeurs de l’Opéra national de Paris
Surtitrage en français et en anglaisPalais Garnier – du 02 au 25 décembre 2016
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