Créé en juin 2013, ce texte d’Ivan Viripaev mis en scène par Galin Stoev est un bijou d’ironie et de finesse. Il devait logiquement trouver sa place dans cette saison du théâtre de l’Aquarium. C’est chose faite, et on regrette que ce soit pour un temps si court, tellement le spectacle est une réussite.
Un casting très jeune bondit sur scène, treize comédiens pour jouer quatre personnages : Albert, Margaret, Dennis et Sandra. Le jour de sa mort, Dennis fait venir Sandra pour lui dire à quel point ces 52 années passées avec elle ont été merveilleuses, combien il a compris que l’amour était forcément réciproque grâce à elle. En peu de mots : il aurait voulu vivre sa vie avec personne d’autre qu’elle. Dennis ne sait pas que Sandra, quelques mois plus tard, lorsque son tour vient de mourir, fait venir Albert, son voisin et meilleur ami de Dennis. Elle lui avoue que, depuis qu’ils se sont rencontrés cinq décennies plus tôt, son cœur n’a battu que pour lui. Ces entrelacs tressés de sentiments mûrs connaissent d’autres ramifications et ne cessent de surprendre et de marquer jusqu’à la fin de la pièce, sans nous perdre pour autant grâce à d’excellentes idées dans la mise en scène.
Une esthétique work in progress qui n’empêche pas l’illusion théâtrale de fonctionner. Galin Stoev utilise la jeunesse de cette formidable troupe – une promotion complète de l’ENSAD – pour revenir à une sorte de genèse du théâtre à travers cette histoire faite de vieilles amours. Chaque acteur jongle, incarne, se glisse dans la peau du précédent afin de prendre la suite de l’histoire. Ce spectacle illustre le talent de Galin Stoev à se renouveler. S’il ne réussit pas toujours ses mises en scène – la plus récente, « Les Gens d’Oz », n’était pas à mettre à son palmarès – il montre avec « Illusions » qu’il ne manque pas d’idées.
Un travail rendu possible grâce au texte d’Ivan Viripaev. Il pousse, creuse, extrait et expose le sentiment amoureux mûr, à l’échelle d’une vie. L’absurde est exploré jusqu’à une sorte d’évidence et fait ressortir l’envie de vivre vrai. On écoute certaines déclarations d’amour splendides, toujours baigné dans une illusion latente : est-ce sincère ou n’est-ce qu’une suite d’un discours de façade ? Cette interrogation nous permet de défendre le texte de toute niaiserie. La distance achève d’être entretenue par une narration discrète mais importante, comme dans le film « Human Traffic ».
Et on se demande à nôtre tour : comment les héros de cette histoire modeste ont-ils tenu tout ce temps ? Comment le mensonge a pu s’étendre à l’échelle d’une vie ? Ces « Illusions » bien qu’ironiques et férocement drôles, baignent dans un relativisme salutaire : finalement, que chacun mène sa vie sentimentale et sexuelle comme il l’entend.
Hadrien VOLLE – www.sceneweb.fr
Illusions de Ivan Viripaev
traduction : Tania Moguilevskaia et Gilles Morel (Ed. Les Solitaires intempestifs)
mise en scène de Galin Stoev
chorégraphie Jérémy Petit, lumière Pierre Montessuit assisté d’Elsa Revol
avec Raphaël Bedrossian, Flora Bourne-Chastel, Elsa Canovas, Jean-Baptiste Florens, Sarah Glond, Lou Granarolo, Valentine Lauzat, Nelly Lawson, Marilou Malo, Pauline Masse, Clovis Mouche, Jérémy Petit, Aurélien Pinheiro, Willie Schwartz.Théâtre de l’Aquarium
du 5 au 24 avril 2016
du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h
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