Thomas Joly a présenté cet automne au TNB une version décapante de « Richard III » de Shakespeare. Le public était debout tous les soirs. Le spectacle est en tournée, et s’arrête à l’Odéon à Paris. En 2014 au Festival d’Avignon, Thomas Jolly avait fait sensation en présentant « Henry VI » de Shakespeare dans son intégralité : 18 heures. Richard III (4 heures 30) est en quelque sorte le prolongement. Et c’est toujours la même ambiance sur scène et dans la salle. Rencontre avec le comédien et metteur en scène.
Est-ce que ce Richard III est une suite ou un spectacle différent de Henry VI ?
Les deux ! C’est la continuité parce que c’est la même équipe, parce que ce sont les mêmes personnages, parce que j’ai laissé Henry VI à un endroit où scéniquement et dramatiquement on peut le poursuivre. Mais il est aussi automne car ce n’est pas le même Shakespeare qui écrit. Henry VI est une œuvre de jeunesse où il va dans tous les sens de manière parfois désordonnée alors que dans Richard III sa réflexion est plus grave, plus mature et posée. Donc c’est les deux mais au début de l’aventure d’Henry VI j’avais décidé de poursuivre jusqu’à la fin.
Et ici vous avez l’œil du metteur en scène mais vous jouez aussi le rôle titre
Je ne peux le faire que grâce à la méthode de travail développée avec l’équipe, à la confiance et à leur bienveillance. Je suis le garant de la cohérence mais les acteurs dans leur autonomie génèrent l’objet et cela permet au metteur en scène d’intégrer le spectacle.
Et vous incarnez un Richard III très rock n’roll !
Effectivement, il a un peu de mégalomanie. Il se lance dans une forme de concert mais c’est aussi une forme de meeting politique. Richard III s’émerveille de ce qui est dit dans la chanson : « qui est assez grossier pour ne pas voir ce palpable artifice, mais qui est assez hardi pour voir qu’il le voit ». Ce garçon se fraye un chemin parce que personne ne l’en empêche. Cela fait beaucoup d’échos à ce climat délétère où les choses sont vues mais sont tues.
Ce Richard III embarque aussi le public dans son délire au moment d’être couronné, et vous jouez avec le public
Car Shakespeare a écrit une scène sidérante où les citoyens se font retourner le cerveau par une manipulation politique et par de la propagande. Il arrive à convaincre les citoyens de sa légitimité à monter sur le trône. Et l’on pose la question de la manipulation. Les gens l’applaudissent alors que c’est un tyran et un monstre qui à tuer des gens pour atteindre le pouvoir en faisant régner la terreur dans le royaume.
Vous utilisez des lumières rarement vues au théâtre, ce sont des éclairages utilisés pour les concerts ou pour les shows télévisés. Pourquoi ?
C’est rare et c’est dommage. Ce sont des outils pertinents et poétiques si ont sait leur donner du sens dramaturgiquement. Ce sont des robots lumineux. Ils ne sont pas là uniquement pour tourner dans tous les sens, ils représentent une société surveillée, un État policier et déshumanisé où la machine remplace l’humain.
Le public est debout dès la fin du spectacle. Sommes-nous au théâtre ou dans une salle de concert rock ?
C’est très heureux. Le public est assez jeune ici à Rennes. C’est toujours une grosse émotion. Salle de rock ou salle de théâtre, tant mieux que vous pensiez cela car je crois que les salles de théâtre meurent. Il y a quelque chose de mortifère dans le cérémonial du théâtre. On se tait, on est dans le noir, on éteint son portable, on n’a pas le droit de bouger, on a peur de respirer ou de tousser ! Cela crée des angoisses ! Alors que le spectacle est vivant et c’est ce qui se passe à la fin de Richard III, c’est cette célébration du vivant et d’être ensemble.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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