Avec L’amour après, la metteuse en scène achève sa tétralogie de portraits de femmes en se penchant sur le destin de la réalisatrice Marceline Loridan-Ivens. Entre lumière et obscurité, Laure Werckmann confirme sa grande maîtrise des contrastes.
Assise devant une commode entourée de lumières, une femme de dos se coiffe d’une perruque rouge feu. Ses cheveux roux brandis comme un appel à l’éclat, Marceline Loridan-Ivens les revendiquera fièrement toute sa vie. Avec L’amour après, Laure Werckmann clôt sa tétralogie qui se penche sur le destin d’« héroïnes de la métamorphose ». Après la vie de l’autrice et psychanalyste Nane Beauregard dans J’aime (2021), celle de la joueuse de tennis Marion Bartoli dans Renaître (2024) et celle de l’anthropologue Nastassja Martin dans le très beau Croire aux fauves (2025), Laure Werckmann use de la même recette pour aborder l’existence de Marceline Loridan-Ivens.
Lorsque la scénariste, réalisatrice et autrice française écrit L’amour après, récit autobiographique, elle a 90 ans et décèdera quelques mois après avoir achevé le manuscrit. C’est donc une femme au bord de la mort que l’on rencontre sur scène. En déplacement à Jérusalem pour la signature de son dernier livre, elle vient de perdre subitement la vue. Coïncidence incongrue pour cette fille de Juifs polonais émigrés en France et déportée à Auschwitz-Birkenau à l’âge de quinze ans. Sa déportation, l’expérience des camps où elle perdra son père, sa camaraderie pour la survie avec Simone Veil, Marceline Loridan-Ivens ne cessera d’en témoigner pour la postérité tout au long de sa vie. Dans plusieurs essais autobiographiques, mais surtout dans le film Chronique d’un été en 1961, l’un des premiers témoignages filmés de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale. Mais cet héritage, elle ne sait plus à qui le léguer aux portes de la mort. Pas à ses enfants, elle n’en a jamais voulus. Alors, elle le couche une dernière fois sur le papier. Non plus l’expérience concentrationnaire, mais, cette fois, l’après. La difficile tentative de retour à la vie une fois libérée des camps, mais aussi les douloureux désirs d’amour et de liberté. Comment aimer après avoir été déportée à quinze ans ?
Elle retrace donc à la première personne les premiers amours rencontrés lors des nuits parisiennes à Saint-Germain-des-Prés jusqu’aux premiers hommes qui l’ont véritablement bouleversée – les écrivains Edgar Morin et George Perec, mais surtout le réalisateur Joris Ivens, qui deviendra son mari et avec qui elle réalisera plusieurs films sur la Chine maoïste. La première fois qu’elle se dévêtit devant un homme, les images des rangées de femmes nues et tondues à l’arrivée aux camps l’envahissent. Les traumatismes du corps se mêlent aux traumatismes psychiques, mais, paradoxalement, s’invite aussi un désir brûlant d’émancipation, d’engagement et de liberté. Elle se marie plusieurs fois, divorce, s’engage auprès du FLN, signe le Manifeste des 343 pour la dépénalisation de l’avortement et réalise ses premiers films documentaires sur les mouvements indépendantistes en Algérie. Du rire de ses amies, surnommées Bébé et Caramel en terrasse des bistrots, à ses deux tentatives de suicide, elle n’élude rien des pulsions de vie comme des pulsions de mort.
Et le rendu est toujours aussi précis. Philippe Berthomé à la création lumière et Angéline Croissant à la scénographie offrent un écrin parfait pour sublimer le jeu de Mireille Roussel, sensuelle et subtile. Dans le somptueux clair-obscur d’un jour finissant, les lumières tamisées de guirlandes entremêlées sont rehaussées des éclats mélancoliques d’une boule à facettes. À cour et à jardin, des rangées de sièges vides rappellent les silhouettes absentes des victimes de la déportation ; des rails font aussi écho à l’univers concentrationnaire, mais ils sont ici envahis par le gazon ; et une valise, enfin, d’où Marceline Loridan-Ivens tire ses souvenirs : lettres de ses amants, amis, maris. Laure Werckmann confirme ici sa grande maîtrise des contrastes, et le succès de sa formule : faire puissant avec peu.
Fanny Imbert – www.sceneweb.fr
L’amour après
Adaptation et mise en scène Laure Werckmann
Avec Mireille Roussel, Olivier Mellano
Masques maquillage et prothèses Cécile Kretschmar
Lumière Philippe Berthomé
Scénographie Angéline Croissant
Musique Olivier Mellano
Costumes Pauline Kieffer
Collaboration à la mise en scène Noémie Rosenblatt
Régies Zélie Champeau
Conseillère histoire et archéologie Juliette BrangéProduction Compagnie Lucie Warrant
Coproduction Théâtre La Coupole – Saint Louis ; Comédie de Colmar – CDN Grand Est Alsace ; La Filature – Scène nationale de Mulhouse ; La Madeleine – Scène conventionnée de TroyesDurée : 1h15
Vu en octobre 2025 au Théâtre de la Coupole, Saint-Louis, dans le cadre de Scènes d’automne en Alsace
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !