S’appuyant sur des choix de mise en scène forts, Guillaume Barbot présente une version de Juste la fin du monde de Lagarce qui n’en est pas simplement une de plus. Travaillant à la fois la langue et le concret des situations, le metteur en scène et sa troupe font résonner le texte en de multiples dimensions.
Souvent et avec raison loué pour la musicalité de sa langue, Jean-Luc Lagarce a la réputation d’un auteur de théâtre plus littéraire que théâtral, même si ses longues tirades portent en elles une indéniable oralité. Tant et si bien qu’il est très souvent monté dans des mises en scène plutôt abstraites, qui laissent toute leur place à la puissance des longs dialogues, qui donnent aux mouvements de la parole une importance prépondérante, qui invitent à écouter une écriture davantage qu’elles ne cherchent à incarner vraiment les personnages et les situations. D’ailleurs, quand le cinéma, avec son inéluctable effet de réel, s’empare de Juste la fin du monde, Dolan en garde le scénario, mais en modifie les dialogues, en estompe l’écriture, comme si cette dernière ne pouvait pas vraiment s’ancrer dans la réalité. C’est pourtant ce pari que tente Guillaume Barbot dans la mise en scène qu’il vient de présenter au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine.
On le sait, cette pièce part d’une situation bien concrète : Louis, un jeune homme de 34 ans, double de l’auteur, revient voir sa famille pour la dernière fois, et pour la première fois depuis bien longtemps, parce qu’il est malade et va bientôt mourir. Les retrouvailles avec l’enfant prodigue transfuge de classe se passent plutôt mal. Sa sœur est en manque de son affection, son frère en colère contre lui, sa belle-sœur maladroite et sa mère restée bloquée dans le passé. Cette famille sans père reçoit ici des incarnations marquées grâce à la belle distribution réunie par Guillaume Barbot. Caroline Arrouas en épouse un peu cruche, effacée et gentille ; Yannik Landrein en mari tout brut, dont la dernière colère restera un moment remarquable ; Angèle Garnier en jeune d’aujourd’hui, jogging et bienveillance ; et Élizabeth Mazev en mère un peu dépassée, dont l’optimisme imperturbable assure toutefois une certaine unité à la famille. Toutes et tous donnent aux personnages de Lagarce des caractères marqués et marquants, dans la lignée de ceux construits par l’auteur.
Le tout se passe dans une maison sur deux étages. Entrée, cuisine, salon, chambre à coucher, jardin et même toilettes. Comme dans une maison de poupée, tout y est figuré, rajoutant au réalisme de la mise en scène, sans aller chercher pour autant l’effet de vérité. Chaque personnage y poursuit sa trajectoire, existant en dehors des mots de Lagarce. Parfois un peu trop explicites – les vidéos de souvenirs d’enfance de Louis projetées sur les murs du fond, par exemple –, les parcours des membres de la famille se déploient ainsi ensemble et sur une année, rythmée par les compositions du quatuor à cordes dirigé par Pierre-Marie Braye-Weppe. Menée du point de vue de Louis, incarné par un Mathieu Perotto tout en fragilité, la pièce devient ainsi plus réflexion sur la famille qu’histoire de ce double de l’auteur, où chacun et chacune de ses membres prend une épaisseur bienvenue. La langue, la fameuse langue de Lagarce, elle, demeure, mais moins flottante qu’à l’habitude. Davantage hachée, travaillée de l’intérieur, dans sa concrétude, ses silences, ses hésitations, elle perd en fluidité ce qu’elle gagne en reliefs. Parfois, elle semble excessivement ralentie, le pathos un peu appuyé et l’ensemble durant près de 2h30 laisse comprendre combien aucune situation n’est survolée. Mais le théâtre de Lagarce ainsi travaillé en devient plus accessible, matière humaine autant que littéraire, émouvante et enracinée.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Juste la fin du monde
Texte Jean-Luc Lagarce (Les Solitaires Intempestifs)
Mise en scène Guillaume Barbot
Avec Mathieu Perotto, Yannik Landrein, Élizabeth Mazev, Caroline Arrouas, Angèle Garnier, Thomas Polleri en alternance avec Alix Briot Andréani
Dramaturgie Agathe Peyrard
Lumières Nicolas Faucheux
Scénographie Benjamin Lebreton, assisté de Violette Rivière
Direction musicale – composition et arrangement (d’après Radiohead) Pierre-Marie Braye-Weppe
Quatuor à cordes (enregistré au Studio Nyima) Sarah Dayan (violon), Matthieu Perraud (violon) Violaine Despeyroux (alto), Florian Frère (violoncelle)
Création sonore Terence Briand, Rodrig De Sa
Vidéo Clément Debailleul
Costumes Aude Desigaux
Construction des décors Ateliers du TNP – Villeurbanne
Régie générale et lumière Karl Ludwig Francisco
Régie son Rodrig De Sa
Régie plateau Jules CharretProduction Compagnie Coup de Poker
Coproduction Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, Théâtre Sénart – Scène nationale, Théâtre de Chelles, Théâtre Le Vellein – Scènes de la CAPI, Théâtre Jacques Carat à Cachan, Espace Marcel Carné Saint-Michel sur Orge, Théâtre Antoine
Watteau de Nogent-sur-Marne, CdbM – Le Perreux-sur-Marne, Scène nationale de Sénart
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Soutiens DRAC Ile-de-France (compagnie conventionnée), Adami, l’Espace des Arts Scène nationale Chalon-sur-Saône, L’Orange Bleue à Eaubonne, Département de Seine-et-Marne
Action financée par la Région Île-de-France et la SpedidamDurée : 2h20
Vu en octobre 2025 au Théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine
Théâtre de Chelles
le 10 octobreThéâtre Jacques Carat, Cachan
le 16 octobreThéâtre 13, Paris
du 3 au 22 novembreLe Vellein, scènes de la CAPI, Villefontaine
le 4 décembreEspace Marcel Carné, Saint-Michel-sur-Orge
le 30 janvier 2026Théâtre du Vésinet
le 3 févrierLes Passerelles, Pontault-Combault
le 7 févrierThéâtre Antoine Watteau, Nogent-sur-Marne
le 10 févrierL’Orange Bleue, Espace culturel d’Eaubonne
le 13 févrierCentre des bords de Marne, Le Perreux sur Marne
le 5 maiLa Faïencerie, Creil
le 7 mai
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