Immense déception que ces Étincelles sans envergure, qui marquent pourtant la première adaptation de Jon Fosse à la Comédie-Française. Malgré un montage de textes assemblés avec soin par Gabriel Dufay, la pertinence de l’ensemble n’advient jamais, et le hiatus entre l’abstraction du décor et le réalisme du jeu aplatit plus qu’il ne met en valeur l’écriture de l’auteur.
C’est grâce à Claude Régy, insatiable découvreur de textes, que Jon Fosse s’est taillé une place à part dans le paysage théâtral français des années 2000. Sa mise en scène de Quelqu’un va venir en 1999 restera dans les mémoires, suivie par Melancholia, puis Variations sur la mort. L’esthétique propre au metteur en scène y rencontrait avec une évidence lumineuse l’écriture économe et épurée de l’auteur, désormais prix Nobel de littérature depuis 2023. Difficile de prendre le relai après un tel tandem, auquel s’ajoute la pierre de Patrice Chéreau, dont les derniers spectacles avant de mourir furent Rêve d’automne et Je suis le vent. Héritage aussi imposant qu’antithétique pour quiconque s’aventure de nos jours dans les méandres temporelles de la plume sinueuse et mystérieuse de l’écrivain norvégien. Car entre l’art de Claude Régy et celui de Patrice Chéreau, il y a un monde, un gouffre, deux façons radicalement opposées d’embrasser la direction d’acteurs et le plateau.
Chez Daniel Jeanneteau, qui fut scénographe pour Claude Régy pendant longtemps, la filiation coule de source si l’on peut dire. L’actuel directeur du Théâtre de Gennevilliers a pris son temps avant de revenir à cet auteur familier et de porter à la scène, en collaboration avec Mammar Benranou, une pièce de jeunesse, sa deuxième, Et jamais nous ne serons séparés, que l’on peut découvrir en ce moment-même en son QG. Dominique Reymond y est époustouflante, tout comme Valérie Dréville l’était, dirigée par Claude Régy. Deux comédiennes d’exception issues de la même famille de théâtre vitézienne. Le lien se fait dans un glissement vertueux, la transition opère et le spectacle oscille dans un juste équilibre entre le caractère très concret de la situation – l’attente d’une femme – et la dimension métaphysique et universelle qui s’en dégage. Quant à Gabriel Dufay, proche lui aussi de l’œuvre du dramaturge dont il est l’un des traducteurs en France, auteur d’un livre d’entretiens au long cours avec lui – Écrire, c’est écouter, paru en 2013 chez l’Arche –, il choisit de réunir différents matériaux textuels pour cette première entrée au répertoire de la Comédie-Française. Un texte sur le théâtre qui ouvre la représentation, des pièces courtes et des poèmes qu’il organise en un montage soigné, auréolé d’un titre prometteur : Étincelles.
Malheureusement, sur la petite scène du Studio-Théâtre, pourtant parfaite pour créer un climat d’intimité propice à cette écriture du silence et de l’intériorité, les choix de mise en scène, et surtout de direction d’acteurs, nous laissent perplexes, voire passablement agacé. La langue de Jon Fosse y apparaît étonnamment plate, sans nuances ni reliefs, anecdotique. Les situations sont hystérisées, jusqu’à la grimace ; le jeu est en force, d’un volontarisme qui vire au maniérisme ; et la mise en scène tend à illustrer dans la redondance les motifs textuels. On ne comprend pas ce choix de dépouillement scénographique, qui tend à l’abstraction, associé au réalisme outré du jeu. Les deux se renvoyant dos à dos sans que l’on trouve le moyen de s’y faire une place. Quid de la résonance des mots dans l’espace ? Le débit des comédiens et comédiennes n’offre pas la chambre d’échos pourtant nombreux qu’appelle la plume tranchante et ténue de Jon Fosse.
Les scènes théâtrales nous apparaissent alors étonnamment pauvres, de banales histoires de couple et d’adultère old school, voire archétypales. Les épouses sont en long peignoir de soie, sages, mais sensuelles, comme il se doit, tandis que la maîtresse affiche ses jambes et sa jeunesse en mini-jupe, bombers et New Balance. Rien n’échappe vraiment à ce manque de profondeur généralisé, à cette absence de souffle et de hors-champ, à ce sentiment d’artifice qui envahit tout. Même Didier Sandre, par ailleurs immense acteur, vitézien lui aussi, semble peu à son aise dans cet expressionnisme vieillot qui empêche l’invisible évoqué dans le premier texte d’advenir. On retiendra cependant ce sable gris que foulent ces êtres perdus, et les traces tristes de leurs pas(sage). Belle image. À la fois présences fantomatiques évanescentes et humaines, trop humaines, très tangibles, les figures qui peuplent ce spectacle semblent en permanence sous tension sans que l’on comprenne vraiment pourquoi. L’ange convoqué au début se fait attendre et ne viendra pas, car les poèmes tout autant que les scènes de théâtre ne charrient pas plus que les mots. Il y manque leur âme et leurs ombres.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Étincelles / Pièces courtes
Textes Jon Fosse (Quand un ange passe par la scène, traduction Camilla Bouchet et Gabriel Dufay ; Pendant que la lumière baisse et que tout devient noir, traduction Marianne Ségol et Gabriel Dufay ; Liberté, traduction Marianne Ségol et Gabriel Dufay ; Là-bas, traduction Marianne Ségol ; Vivre dans le secret, traduction Terje Sinding ; Poèmes, traduction Camilla Bouchet et Gabriel Dufay
Mise en scène Gabriel Dufay
Avec Didier Sandre, Anna Cervinka, Clément Bresson, Sefa Yeboah, Morgane Real
Scénographie Margaux Nessi
Costumes Aude Désigaux
Lumières Sébastien Lemarchand
Son Samuel Robineau
Réalisation des décors et costumes Ateliers de la Comédie-FrançaiseAvec le généreux soutien d ’Aline Foriel-Destezet, grande ambassadrice de la création artistique
L’œuvre théâtrale de Jon Fosse est publiée et représentée par L’ARCHE – éditeur & agence théâtrale.Durée : 1h15
Studio-Théâtre de la Comédie-Française, Paris
du 18 septembre au 2 novembre 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !