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Au Théâtre du Peuple, un « Roi nu » en pleine nature

À la une, Bussang, Théâtre
Sylvain Maurice met en scène Le Roi nu d'Evgueni Schwartz au Théâtre du Peuple de Bussang
Sylvain Maurice met en scène Le Roi nu d'Evgueni Schwartz au Théâtre du Peuple de Bussang

Photo Vincent Zobler

À Bussang, le Théâtre du Peuple célèbre cette année ses 130 ans d’utopie. L’une des pièces maîtresses de cet anniversaire, intitulé « Jubilons ! » par la directrice du lieu, Julie Delille, est Le Roi nu d’Evgueni Schwartz. Finement menée par Sylvain Maurice avec des acteurs amateurs et professionnels, cette grande farce sur le pouvoir offre une fête aussi populaire qu’exigeante.

Le jour où nous nous rendons au Théâtre du Peuple, le 25 juillet, un tournoi de « pétanque en poésie » aux couleurs de cette institution mythique a lieu à Bussang, à la Halle de la Mouline. La Société des Fêtes, qui organise à l’année ce type d’événement, est l’une des seize associations de la ville et des communes alentours à avoir participé avec l’équipe et les artistes du théâtre à la construction du Jubilé, l’anniversaire des 130 ans du lieu dirigé depuis 2024 par la metteuse en scène Julie Delille. Du mois de juin à la fin août, les « rituels de célébration » avec lesquels la nouvelle directrice et son équipe cherchent à « réinventer les liens entre les habitants et le théâtre » sont divers et variés. Au Casino de Bussang, l’Harmonie Bussang a par exemple donné un concert avec le soutien du Club Couture Détente et Patchwork. L’association Idéal 88 a quant à elle donné un « bal de rencontre entre les habitant·es d’ici et de passage », avec la complicité de l’équipe du feuilleton Hériter des Brumes, une autre belle initiative de Julie Delille pour son programme qu’elle a intitulé « Jubilons ! », avec la simplicité joyeuse et affairée qui la caractérise. Dans ce spectacle en six épisodes d’une heure chacun, écrit pour l’occasion par Alix Fournier-Pittaluga et Paul Francesconi, mis en scène par Julie Delille et interprété par des comédiens amateurs et professionnels, il s’agit de retracer l’histoire de l’utopie théâtrale « par l’art, pour l’humanité » imaginée en 1895 par Maurice Pottecher. Cette petite saga fort prometteuse entend réactiver la mémoire de l’utopie originelle, interroger les raisons de sa pérennité et son avenir possible.

Dans un tout autre registre, Le Roi nu d’Evgueni Schwartz mis en scène par Sylvain Maurice est aussi une réponse à cette grande question de l’utopie que brasse le Jubilé. Après Le Conte d’hiver de Shakespeare, avec lequel Julie Delille se présentait l’été dernier aux habitants de la région et aux amoureux du Théâtre du Peuple qui viennent d’un peu partout en France et même parfois de plus loin, ce spectacle occupe le créneau de l’après-midi, celui de 15 heures – selon la légende colportée par la directrice, gourmande des anecdotes du passé du lieu où elle a élu domicile dès sa nomination, cet horaire inhabituel vient du temps où une gare reliait directement Paris à Bussang. Écrite par l’auteur russe en 1934, la pièce présente les qualités parfaites pour répondre à la singulière confrontation qui se joue, selon la sociologue Anne Labit, « entre théâtre à vocation locale, assimilée parfois à populaire, et théâtre à vocation nationale, assimilée parfois à élitiste ». Associée par Julie Delille au Théâtre du Peuple afin d’enquêter sur les liens de l’utopie pottecherienne avec son territoire, la chercheuse transcrit dans sa riche étude Le Théâtre, le Peuple et le Territoire – Pièce sociologique en deux actes de nombreuses paroles de locaux relatant la dégradation du rapport entre théâtre et habitants dans les années qui ont précédé l’arrivée de la nouvelle directrice. Par la fable, Le Roi nu met en scène un conflit entre gens du peuple, représentés notamment par le porcher Henri et son ami Christian, tisserand de métier, et personnes de la haute : une princesse et son père, le roi, ainsi qu’un souverain voisin que la première est censée épouser, mais qu’elle rejette avant même d’en constater la très grande ineptie.

La séparation entre les deux extrêmes de la société est d’emblée ébranlée dans la pièce d’Evgueni Schwartz, qui s’ouvre par le récit énamouré d’Henri à un Christian fatigué de l’avoir entendu « cent une fois » de sa rencontre avec la princesse Henriette « tellement mignonne, mais tellement jolie » qu’il décide au premier regard de l’épouser. Entreprise qu’il mènera à bien avec l’aide de son ami, malgré bien des tentatives des puissants de maintenir une coupure nette et franche avec le peuple. Sylvain Maurice prend la pièce pour ce qu’elle est : une farce aux accents bouffons généreux, qui, sous les atours du conte – la pièce est une adaptation très libre de trois contes d’Andersen, La Princesse et le Porcher, La Princesse et le Petit Pois et Les Habits Neufs de l’Empereur –, dénonce et moque la façon dont les grands de ce monde font avec le pouvoir qui leur est donné. En débutant le spectacle avec le célèbre fond de scène du Théâtre du Peuple ouvert sur la forêt vosgienne, où l’on voit gambader des créatures masquées, le metteur en scène affirme d’emblée son désir d’épouser pleinement la singularité du lieu. Affublés de nez de cochon en guise de masques, les acteurs qui déboulent ainsi jusque sur le plateau, aussi nus que le roi d’Evgueni Schwartz, font, pour la plupart, partie des onze membres de la troupe 2025 des comédien·nes amateurices du Théâtre du Peuple, dont la présence dans la pièce de l’après-midi fait partie des règles établies par Maurice Pottecher, et jamais remises en question depuis. Les hommes-cochons sont bientôt rejoints par le reste du groupe d’amateurs, non seulement dans les costumes densément fleuris des demoiselles d’honneur et de compagnie de la princesse Henriette (Hélène Rimenaid), mais aussi dans le rôle du Roi père qui accourt pour tenter de rétablir la séparation entre les différentes couches de la société mise à mal par la passion naissante entre sa fille et le porcher (Mikaël-Don Giancarli, un autre des cinq comédiens professionnels de l’aventure).

Le Roi nu se jouant de nombreuses frontières – entre littérature pour enfants et pour adultes, entre fantaisie et critique politique –, elle se prête aussi bien à la porosité des professionnels et des amateurs qu’au double ancrage local et national attendu des créations du Théâtre du Peuple. En apportant à Bussang la dimension musicale de son langage personnel, présente notamment dans sa Vallée de l’étonnement (2021), d’après Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, et dans sa Fête des roses (2022), version oratorio de Penthésilée d’Heinrich von Kleist, le metteur en scène répond avec naturel et efficacité à la délicate équation que pose le Théâtre du Peuple à chaque artiste invité à y travailler. Installés en corniches de part et d’autre du plateau, les musiciens Laurent Grais et Dayan Korolic sont bien plus que de simples soutiens pour les acteurs : leur partition est intégrée à la dramaturgie du spectacle, au point de faire régulièrement basculer celui-ci du côté du concert, style bal populaire. Il en va ainsi de la première visite de la princesse à son porcher, dont le chaudron magique est ici remplacé par un micro, et de plusieurs interventions du roi promis à Henriette, dont Manuel Le Lièvre a l’art de faire un benêt qui outrepasse la caricature grâce à une fragilité présente jusque dans les pires excès d’autoritarisme et de vantardise. Les autres personnages de la cour – le ministre des tendres sentiments interprété par Nadine Berland, le poète de la cour joué par Hugues Dutrannois ou encore le Premier ministre par Jacques Courtot, tous deux de la troupe amatrice – présentent moins de nuances. Ils sont de purs rouages de la comédie, à laquelle la traduction d’André Markowicz donne toute la dynamique et la modernité nécessaires. Sylvain Maurice et son équipe hétéroclite n’ont guère besoin de chercher à rapprocher de nous la folle fiction d’Evgueni Schwartz pour qu’elle résonne avec notre époque et ses dérives.

Censurée en Russie en 1934, parce qu’éloignée du réalisme socialiste imposé aux artistes par l’Union soviétique et lue comme une charge contre Hitler et Staline, Le Roi nu affiche une distance avec toute vraisemblance qui culmine lorsque Henri et Christian (Maël Besnard) prétendent habiller le roi d’un vêtement visible aux seuls yeux des personnes intelligentes. Cet écart par rapport au réel permet à la pièce de résister au passage du temps. Elle fait même écho avec une force surprenante à quelques puissants de notre monde, dont la bouffonnerie est plus saillante que les compétences politiques. Masques et décors minimalistes, que des roulettes permettent de faire apparaître à grande vitesse pour les évacuer avec la même rapidité, rappellent sans cesse la dimension théâtrale, et donc provisoire, de cette affaire totalement barrée. C’est là le signe d’une humilité qui sied bien au projet de Julie Delille, pour qui le théâtre ne saurait s’ériger au-dessus des autres activités culturelles au sens large, idée au cœur de la notion de « lisière » qu’elle place au cœur de son travail à Bussang et qu’évoque la sociologue Anne Labit dans son étude. En mettant les moyens de sa compagnie [Titre Provisoire] au service du Roi nu, et donc du Théâtre du Peuple, en assumant la production déléguée du spectacle, Sylvain Maurice réalise l’un des nombreux gestes de solidarité et d’entraide que génère encore aujourd’hui l’utopie de Pottecher, d’autant plus précieux dans le contexte actuel de coupes budgétaires qui fragilise l’ensemble de l’écosystème théâtral. Ce grand-guignolesque Roi nu participe avec force d’un ensemble de gestes de natures très diverses et aux esthétiques variées qui composent un ambitieux Jubilé, où Julie Delille reprend aussi in situ, et à la nuit tombée, son premier spectacle, Je suis la bête. La noirceur de ce seul en scène le situe à peu près aux antipodes de la pièce d’Evgueni Schwartz et explore une autre lisière qu’aime particulièrement à arpenter la metteuse en scène : celle qui relie l’homme au reste de la nature, puisqu’il n’y a pour elle aucune séparation qui tienne.

Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr

Le Roi nu
Texte Evgueni Schwartz
Traduction André Markowicz (Les Solitaires Intempestifs)
Mise en scène et scénographie Sylvain Maurice
Avec Nadine Berland, Maël Besnard, Mikaël-Don Giancarli, Manuel Le Lièvre, Hélène Rimenaid, les comédien·nes amateurices de la troupe 2025 du Théâtre du Peuple : Michèle Adam, Flavie Aubert, Astrid Beltzung, Jacques Courtot, Hugues Dutrannois, Betül Eksi, Éric Hanicotte, Igor Igrok, Fabien Médina, Denis Vemclefs, Vincent Konik, et les musiciens Laurent Grais, Dayan Korolic
Composition originale Laurent Grais, Dayan Korolic
Lumières Rodolphe Martin
Costumes Fanny Brouste
Assistante à la mise en scène Constance Larrieu
Assistante à la scénographie Margot Clavières
Assistante aux costumes Peggy Sturm

Production Théâtre du Peuple – Maurice Pottecher ; Compagnie [Titre Provisoire]
Avec le soutien artistique du Jeune Théâtre National
Production déléguée Compagnie [Titre Provisoire]

La Compagnie [Titre Provisoire] est conventionnée par la DRAC Bretagne / Ministère de la Culture.

Durée : 3h (entracte compris)

Théâtre du Peuple, Bussang
du 19 juillet au 30 août 2025

28 juillet 2025/par Anaïs Heluin
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