En ouverture de la 79e édition du Festival d’Avignon, Bouchra Ouizguen livre They always come back, création portée par des amateurs. Faute de partager avec ces derniers son geste personnel, la chorégraphe d’origine marocaine échoue à donner corps à leur groupe.
Alors que la chorégraphe capverdienne Marlene Monteiro Freitas ouvre le Festival d’Avignon avec sa création NÔT au Palais des Papes, c’est devant celui-ci que Bouchra Ouizguen est invitée à présenter le fruit de son travail avec un groupe d’amateurs, intitulé They always come back. L’adjectif « participatif » utilisé par le Festival pour décrire ce travail est trompeur. Contrairement à Boris Charmatz à qui avait été confié l’an passé ce format dédié à l’espace public (Cercles), la chorégraphe marocaine n’invite nullement ici le public à entrer dans la danse. Les « participants » en question sont donc les interprètes eux-mêmes, recrutés « sans prérequis physique, d’âge ou de pratique artistique ». Davantage utilisé dans le contexte d’ateliers ou autres dispositifs de transmission artistique que pour des créations, le terme interroge la nature du geste de l’artiste et sa relation avec les amateurs. Et le spectacle ne donne guère de réponses. They always come back ne convoque en effet que très peu des éléments du langage que Bouchra Ouizguen déploie depuis une quinzaine d’années entre le Maroc et l’international, en particulier en Europe où ses pièces tournent très largement. Le choix d’une distribution intégralement masculine étonne déjà de la part de cette chorégraphe autodidacte dont le langage s’est bâti et déployé à partir d’un travail avec des femmes, toutes issues dans ses premiers spectacles – Madame Plaza (2009) et Ha ! (2012) – du milieu du cabaret marocain, et mêlées par la suite à des danseuses contemporaines. Si la partition que livre la quinzaine d’interprètes aux spectateurs semble tenir d’une forme de cérémonie, celle-ci n’a rien non plus de la dimension très brute, presque quotidienne, des rituels composés jusque-là par Bouchra Ouizguen.
Dans l’entretien publié dans la feuille de salle du spectacle, la chorégraphe dit avoir « invité ce groupe – qui n’était pas constitué – à créer du lien et à laisser la place au sensible, chacun avec sa beauté, ses fragilités, son être ». Très peu consistant et vide de son univers personnel, le cadre qu’elle met en place empêche pourtant toute expression de l’identité des individus aussi bien que du groupe. Après un solo aux forts accents mystiques, dont l’interprète semble tenter une convocation de la mémoire des lieux, le collectif surgit du Palais des Papes pour entamer une succession de figures aux contours flous. À travers une série de gestes solennellement adressés à la façade de pierre, le groupe tout de noir vêtu paraît d’abord vouloir prendre le relai de la danse solitaire dans sa connexion à l’histoire du site, avant de se scinder en éphémères binômes dont les embrassades et les mains tendues et saisies illustrent la nécessité du rapport à l’autre plus qu’elles ne l’incarnent véritablement. Le caractère des différents interprètes ne se dessine pas plus dans ce court passage effusif que dans les mouvements d’ensemble qui ne tardent pas à effacer les duos pour occuper la dernière partie du spectacle. Ce découpage global est trop contraignant pour que trouvent à s’affirmer des gestuelles et des rapports singuliers à l’espace. Et il est trop lâche pour donner corps à une communauté vivante, complexe. Les furtives apparitions de Bouchra Ouizguen parmi le groupe n’aident en rien à définir l’essence de celui-ci ni la raison d’être de ses gesticulations le plus souvent davantage marchées que dansées.
Bien que They always come back s’inscrive dans le focus consacré cette année par le Festival d’Avignon à la langue arabe, la chorégraphe ne fait ici nul recours conséquent à la culture marocaine, socle de tout le répertoire de sa Compagnie 0. Si certaines des musiques variées qui composent la bande-son du spectacle, augmentée par une flutiste et un violoniste jouant en live, sont probablement issues de traditions du pays d’origine de la chorégraphe, elles ne teintent nullement la performance d’un sens ni d’une énergie particulière. Le spectacle est en cela rapproché à tort de Corbeaux (2014) par la communication du Festival d’Avignon. Dans cette création antérieure, Bouchra Ouizguen avait en effet transmis à des danseurs professionnels un vocabulaire physique inspiré du quotidien de Marrakech, des vies de ses habitants. On aurait pu imaginer qu’elle honore l’invitation du Festival en menant un travail similaire dans l’environnement avignonnais. Mais les hommes en noir ne sont pas plus imprégnés du quotidien local que de références marocaines. En optant pour une forme de neutralité culturelle, Bouchra Ouizguen se détourne donc de son territoire intime et créatif sans s’ouvrir à d’autres. Aussi, lorsqu’elle affirme que, dans cette aventure, « le spectacle n’est pas une fin en soi », que ce sont « les tentatives, les traversées personnelles et collectives » de ses danseurs amateurs qui l’émeuvent, a-t-elle l’air de s’excuser d’une rencontre qu’elle saurait ratée.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
They always come back
Chorégraphie Bouchra Ouizguen
Avec la participation de Alain Alfonsi, Jean-Daniel Bieler, Patrick Brasseur, Diego Colin, Samy Devaud, Jeffrey Edison, Sébastien Gontier-Gilly, Mathieu Goulmant, Pascal Hamant, Léna Ledieu, Nathanaël Ledieu, Vincent Ledieu, Jean-Marc Lopez, Pierre-Alban Mochet, Frédéric Quay, Christian Riou, Julien Ronzon, Jacques TouzainProduction Compagnie O
Production déléguée Festival d’Avignon
Avec le soutien de Cécile et Marc Birling et Dance Reflections by Van Cleef & Arpels pour la 79e éditionDurée : 45 minutes
Festival d’Avignon, Place du Palais des Papes
du 4 au 6 juillet 2025
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