Pour sa nouvelle mise en scène, Laurence Cordier de la compagnie La Course Folle se saisit de la pièce mythique de Sophocle, avec Noella Ngilinshuti Ntambara dans le rôle-titre. Un spectacle qui, à sa création, peinait encore à convaincre.
Après avoir monté un spectacle à partir de textes de la prix Nobel de littérature 2022 Annie Ernaux (Le Quat’sous) et un autre autour de la peintre mexicaine Frida Kahlo (Ni les chiens qui boitent, ni les femmes qui pleurent), la metteuse en scène Laurence Cordier continue à travailler sur des figures de femmes entravées dans leur accomplissement. Après deux artistes bien réelles, c’est, cette fois-ci, au personnage tragique d’Antigone que la metteuse en scène s’intéresse. Se saisissant de la pièce de Sophocle, Laurence Cordier a choisi la traduction réalisée par Irène Bonnaud et Malika Hammou. Pour autant, si cette version porte en elle une énergie, et propose un rapport concret aux émois et enjeux traversés par les personnages, la langue n’a pas suffi au soir de la création à insuffler ce même souffle de vie à la mise en scène.
Lorsque la pièce de Sophocle débute, l’irréparable a déjà eu lieu. La malédiction qui pèse sur la famille des Labdacides continue de faire son œuvre : après le suicide de Jocaste – qui s’est tuée lorsqu’elle a appris sa relation incestueuse avec son fils Œdipe – et le bannissement du même Œdipe, désormais aveugle, leurs deux fils, Étéocle et Polynice, sont morts de s’être déchirés pour le pouvoir. Nous voilà donc dans une Thèbes désormais gouvernée par leur oncle Créon, qui interdit que Polynice soit enterré. C’est dans cette ville troublée, plongée métaphoriquement dans les ténèbres, que la pièce commence, et sur un plateau occupé d’une estrade à jardin – où Créon, comme les autres personnages royaux, apparaîtra et disparaîtra – et, à cour, d’un sommaire pont de planches enjambant un gravier noir, symbole d’une terre (de plus en plus) endeuillée, que les personnages évoluent.
Dans cet univers empreint de noirceur, aux lumières ténues, où la toile peinte du fond de scène laisse initialement à peine deviner une haute colline sombre, où la création sonore laisse sourdre une atmosphère pesante, la tragédie va continuer de se dérouler, implacable. Car, si Ismène, sœur d’Étéocle et Polynice, accepte la décision autoritaire de Créon, ce n’est pas le cas d’Antigone. La jeune femme enfreint l’interdiction royale et s’entête à vouloir donner une sépulture à son frère. Au fil du texte de Sophocle se déplie la mécanique tragique, l’incapacité de Créon et d’Antigone à se comprendre les menant à leur perte – l’une se situant du côté de la loi non écrite des Dieux, supérieure à celle du roi, l’autre du côté de sa toute-puissance et de son désir absolu de vengeance face à celui qui a mis en danger l’équilibre de la cité. Tous deux entraînent dans leur mortel sillage Hémon (fils de Créon et futur époux d’Antigone) et Eurydice (femme de Créon) qui se suicideront.
Cette mécanique, que la traduction vive et enlevée d’Irène Bonnaud et Malika Hammou soutient et transmet de façon directe, intense, la mise en scène de Laurence Cordier tend, elle, à l’entraver. Formellement, la proposition est pourtant intéressante, grâce à une scénographie évoluant subtilement, travaillant l’inquiétude, rendant palpable cette pesanteur qui empoisse tout l’environnement de Thèbes. De même, la création costumes de Gwendoline Bouget dessine les personnages et leur position de pouvoir de façon stylisée, sans surligner. C’est moins le cas de la création musicale, dont certaines sonorités manquent de subtilité et viennent appuyer l’ensemble.
Pourtant, encore, la distribution réunie est alléchante et citons, notamment et entre autres, Mounir Margoum – vu notamment dans le génial Bajazet monté par Frank Castorf – ou Noella Ngilinshuti Ntambara. Mais c’est, au soir de la première, la direction d’acteur.rices dans son ensemble qui semblait comme empeser le tout et verrouiller les interprètes dans leurs personnages. Cadenassé.es à leur place, toutes et tous se sont retrouvé.es comme pris au piège d’un séduisant dispositif, qu’iels peinaient à investir et qui en venait à les enfermer dans des rôles un brin étriqués, très statiques. Si ce sentiment d’épaisseur lourde s’est, à quelques instants de fulgurance, dissipé, il a en grande partie enrayé la machine tragique, jusqu’à rendre lointain et inaccessible l’affrontement entre la figure de la révolte animée par l’impérieux désir de justice (Antigone) et la figure du pouvoir pour qui la justice doit être soumise à sa soif arrogante de toute-puissance (Créon).
caroline châtelet – www.sceneweb.fr
Antigone
de Sophocle
Mise en scène Laurence Cordier
Traduction Irène Bonnaud, Malika Hammou
Avec Aline Le Berre, Noella Ngilinshuti Ntambara, Mama Bouras, Mounir Margoum, Fabien Orcier
Dramaturgie David D’Aquaro
Scénographie Marine Dillard
Création sonore Nicolas Daussy
Création lumières Anne Vaglio
Costumes Gwendoline Bouget
Regards chorégraphiques Anne Emmanuelle Deroo
Assistante à la mise en scène Léa Parravicini
Régie générale Yvan Bernardet
Régie lumière Jessica Manneveau
Construction du décor Ateliers de la Maison de la culture BourgesProduction La Course Folle
Coproduction Théâtre de la Manufacture-Centre Dramatique National Nancy-Lorraine ; Maison de la culture Bourges/Scène nationale ; L’Azimut Antony/Châtenay-Malabry – Pôle National Cirque en Ile-de-France ; Théâtre du Château d’Eu – Scène conventionnée d’intérêt national – Art en territoire ; Théâtre de Chartres – Scène conventionnée d’intérêt national TDC ; Le Gallia Théâtre-scène conventionnée de Saintes
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national
Avec le soutien de l’ADAMI, La Pratique, AFA de l’Indre, Résidanses pluridisciplinaires à Vatan, le Service Culturel de l’Université de Tours et Le Théâtre du Peuple, BussangCe projet de la compagnie la Course Folle est soutenu par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC – Centre-Val de Loire, la Région Centre-Val de Loire, le département d’Indre-et-Loire et la Ville de Tours dans le cadre du dispositif d’aide à la création.
Antigone est édité aux Solitaires Intempestifs
Durée : 1h50
Théâtre de la Manufacture, CDN Nancy-Lorraine
du 12 au 16 novembre 2024Théâtre du Château, Scène conventionnée d’intérêt national, Eu
les 21 et 22 novembreL’Azimut, Pôle National Cirque en Île-de-France, Antony/Châtenay-Malabry
les 28 et 29 novembreThéâtre de Chartres, Scène conventionnée d’intérêt national
le 3 décembreMCB, Maison de la Culture de Bourges, Scène nationale
les 5 et 6 décembreGallia Théâtre, Scène conventionnée de Saintes
le 4 février 2025
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