Présentée au Théâtre de Vanves, avant son arrivée au Théâtre 13, la dernière création du Collectif Mind the Gap semble, malgré son procédé dramaturgique séduisant, être prise à son propre piège.
Voilà plusieurs années que les membres du Collectif Mind the Gap se plaisent à labourer des territoires hors des sentiers battus. Depuis Tonnerre (dans un ciel sans nuage), créé en 2015, Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet ont régulièrement les honneurs des festivals réservés aux compagnies émergentes, comme le WET, porté par le Théâtre Olympia de Tours, ou Impatience, à l’occasion duquel ils se sont fait remarquer, en 2022, avec J’aurais mieux fait d’utiliser une hache. À l’exception de leur adaptation du Mariage de Gombrowicz, les cinq artistes endossent toujours les habits d’auteur·rice-metteur·euse en scène-interprète, et, au fil d’une écriture de plateau, tentent de bousculer les codes traditionnels de la représentation pour venir percuter, et chahuter, les attentes des spectatrices et des spectateurs. Leur dernière pièce collective, Pour que l’année soit bonne et la terre fertile, n’échappe pas à cette ambition, et c’est, de façon surprenante au vu de ce qui était annoncé sur le papier, tels qu’en eux-mêmes que les comédiennes et comédiens accueillent le public au coeur de la salle du Théâtre de Vanves, où ils se produisent dans le cadre de la 4e édition du festival OVNI.
Alignés en rang d’oignon, les cinq interprètes ont la mine contrite des mauvais jours. Les larmes au bord des yeux, le coeur visiblement serré, ils ne tardent pas à annoncer qu’ils sont dans l’obligation d’annuler la représentation. Pour motiver ce choix, ils ont bien pensé à dire que quelqu’un était mort, que l’un des membres du collectif s’était blessé, que des punaises de lit avaient envahi les sièges du théâtre, mais, au vu de la dureté ou du caractère éphémère de ces fausses raisons, ils s’en remettent à la stricte vérité : ils n’ont, tout simplement, aucun spectacle à présenter. Dans les gradins, la (fausse) déception est palpable, à la hauteur des promesses véhiculées par le projet que Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet s’échinent, à la manière d’un choeur de pleureuses, à raconter.
L’idée de Pour que l’année soit bonne et la terre fertile vient d’une rencontre non pas avec une personne, mais avec un costume, créé par Karine Marques Ferreira à l’occasion, nous dit-on, d’une fashion week. Ce monstre tout en poils et chevelure fait l’effet d’une bombe chez les membres de Mind the Gap, et tous voient naître en eux l’envie qu’il soit répliqué afin que chacun puisse le porter lors d’une prochaine création. À ceci près que, une fois les costumes livrés, et malgré la finesse de leur réalisation, les cinq interprètes se retrouvent gros-jean comme devant, incapables de tracer une voie dramaturgique pour faire vivre ces créatures au plateau. À tour de rôle, ils racontent, pêle-mêle, que ces agglomérats de perruques synthétiques chinoises étaient trop encombrants ou trop chauds, qu’ils n’ont réussi à imaginer qu’une vingtaine de minutes de déplacements un peu hasardeux, qu’ils ont rapidement eu peur que tout cela se transforme en spectacle abscons et incompréhensible pour le public. Mais, tandis qu’ils se livrent, d’étranges touffes de cheveux commencent à émerger de leurs vêtements, puis colonisent peu à peu la scène, et l’on comprend alors que les créatures délaissées s’apprêtent à reprendre le pouvoir.
Rodés à l’écriture de plateau, les cinq artistes tricotent, dans un premier temps, cette bascule progressive avec l’aisance dramaturgique de ceux qui en ont vu. Leur façon d’interroger, en creux, le fonctionnement, et les dysfonctionnements, d’un collectif – comme ils avaient déjà pu le faire dans Tonnerre (dans un ciel sans nuage), où ils éprouvaient la difficulté à créer en groupe – se révèle formellement séduisante, même si elle mériterait d’être davantage creusée. Grâce à leurs circonvolutions calculées dans des explications teintées d’élucubrations anecdotiques, ils parviennent à provoquer de larges sourires et génèrent un certain enthousiasme, qui, malheureusement, tend à se dégonfler à mesure que la pièce avance. Malgré la belle arrivée des monstres chevelus, entrés en résistance contre le mépris soudain des apprentis-sorciers qui leur ont donné vie, le procédé s’étire en longueur, se dilue, et perd de sa pertinence, comme si le Collectif Mind the Gap était obligé de jouer la montre.
Surtout, les quinze (petites) dernières minutes où les créatures ont définitivement remplacé les humains s’avèrent déceptives, et donnent l’impression que le spectacle accouche d’un modeste souris. Loin d’être à la hauteur des (grandes) attentes alimentées par ce type de procédé dramaturgique en forme de fausse piste, Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano et Coline Pilet peinent à faire exister les monstres qu’ils incarnent, à leur donner une identité singulière, à faire vivre, évoluer et à interroger le collectif qu’ils forment à leur tour – loin, très loin, de ce qu’ont pu réussir Philippe Quesne (La Nuit des taupes, Farm Fatale) ou Alice Laloy (À poils) ces dernières années. Une fois évacué un échange purement anecdotique sur la façon de déclencher la musique, ils s’adonnent alors à une modeste danse qui manque cruellement de substance, de souffle et de sens, et nous laisse sur notre faim. Comme si, derrière le coup dramaturgique de la panne sèche, il y avait finalement un peu de vrai.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Pour que l’année soit bonne et la terre fertile
Une création du Collectif Mind the Gap
Mise en scène et interprétation Thomas Cabel, Julia de Reyke, Solenn Louër, Anthony Lozano, Coline Pilet
Dramaturgie Léa Tarral
Scénographie Clémence Delille
Création sonore Estelle Lembert
Lumières Théo Tisseuil
Costumes Karine Marques Ferreira
Couturières costumes Clara Signoud, Flore Chrétien, Melody Desbrueres, Solenn Louër
Regard chorégraphique Flora PiletProduction Collectif Mind the Gap
Coproduction Équinoxe-Scène Nationale de Châteauroux ; Théâtre Olympia – CDN de Tours ; Centre Dramatique National d’Orléans ; La Pop, dans le cadre de la Journée de Repérage Artistique 2023.
Soutien et accueil en résidence Les SUBS – lieu vivant d’expériences artistiques ; TU – Nantes – scène jeune création et arts vivants ; Théâtre de Thouars ; le Théâtre de Vanves ; le 108 Maison Bourgogne ; La Halle Aux Grains – Scène nationale de Blois ; La Pop – Incubateur artistique et citoyen.Ce projet a reçu le soutien de la DRAC Centre-Val-de-Loire au titre de l’aide à la résidence et l’aide à la création, la Région Centre-Val-de-Loire – Aide à la création, et la Ville d’Orléans – Aide à la création. Ce spectacle bénéficie de la Convention pour le soutien à la diffusion des compagnies de la Région Centre Val-De-Loire signée par L’ONDA, la Région Centre-Val-De-Loire et Scenocentre. Cette structure a reçu une aide de l’État – ministère de la Culture au titre du Plan de relance pour le soutien à l’emploi artistique et culturel.
Durée : 1h
Théâtre de Vanves, dans le cadre du festival OVNI avec Malakoff Scène Nationale et le Théâtre de Châtillon
les 19 et 20 novembre 2024Théâtre 13 / Bibliothèque, Paris
du 26 novembre au 6 décembreLa Halle aux Grains, Scène nationale de Blois
le 10 décembreCDN Orléans / Centre-Val-de-Loire
du 14 au 17 janvier 2025
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