Le festival Wiener Festwochen, dirigé par Milo Rau s’ouvre ce vendredi soir jusqu’au 23 juin, dans un climat de tension. La préparation a été douloureuse. Le Gouvernement autrichien lui a reproché d’avoir invité la prix Nobel Annie Ernaux et l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis, très critiques envers Israël..
Face aux accusations d’antisémitisme, Milo Rau ne plie pas : le nouveau directeur du festival de Vienne appelle à » ne pas laisser entrer l’antagonisme de la guerre » entre Israël et le Hamas palestinien dans les lieux de culture. Salué comme l’un des metteurs en scène les plus avant-gardistes du continent, Milo Rau a été déclaré persona non grata en Russie après avoir organisé un procès fictif du groupe contestataire Pussy Riot. Son spectacle Les Enfants de Médée (qui sera présenté en France à Tandem, Scène nationale, Douai) a créé une polémique en Belgique car il fait jouer des enfants dans cette pièce où le drame antique cotoie les affaires récentes d’infanticides.
Microcosme de la société, « on se doit d’être inflexible » pour défendre la liberté d’expression, souligne l’artiste suisse alors que se multiplie les annulations d’événements en Europe. « Je ne vais pas faire un pas de côté », sinon « on aura complètement perdu ».
Le metteur en scène espère faire oublier les controverses qui ont émaillé la préparation du festival. « Chaque jour, il y a une dizaine d’articles nous accusant d’être antisémites, disant que notre drapeau ressemble au drapeau palestinien, des choses complètement ridicules », s’insurge l’homme de théâtre de 47 ans.
« Impossible écoute »
La droite autrichienne au pouvoir, très proche du gouvernement israélien, est particulièrement remontée contre l’invitation de l’ex-ministre des Finances grec Yanis Varoufakis et de la prix Nobel de littérature française Annie Ernaux, très critiques envers Israël. Le plaidoyer du philosophe israélien Omri Boehm en faveur d’un Etat bi-national, tenu sur la Judenplatz (place des Juifs), a aussi fait du bruit. Mais » qui va-t-il rester à inviter ? « , lance Milo Rau.
L’assaut sanglant du Hamas le 7 octobre contre Israël et la guerre dévastatrice de représailles à Gaza ont exacerbé le débat autour du conflit du Proche-Orient et attisé les rancœurs entre deux camps irréconciliables. Dans ce climat, « écouter l’autre camp, c’est déjà une traîtrise« , déplore Milo Rau. « Les guerres commencent dans cette impossibilité d’écouter, et je trouve triste que nous, les Européens, répétions la guerre à notre niveau« .
Egalement directeur sortant du théâtre belge NTGent, il raconte comment son temps « se divise entre un pays pro-palestinien et un pays pro-israélien« , entre « culpabilité coloniale » pour l’un, « culpabilité du génocide » pour l’autre, pays natal d’Adolf Hitler. « C’est étrange, quand on parle de ce conflit, on oublie toutes les utopies européennes » de paix, regrette-t-il.
« Révolution institutionnelle »
Au nom de cette liberté d’expression, le metteur en scène a conçu pour sa première édition un festival très politique. Devant une foule de 50.000 personnes, sera proclamée vendredi « la République Libre de Vienne« , dotée de son propre hymne, de son propre drapeau et de son conseil consultatif composé de citoyens et d’intellectuels – dont Yanis Varoufakis et Annie Ernaux qui participeront virtuellement aux débats. « Une révolution institutionnelle » qu’aucun autre festival n’a mené en Europe, insiste Milo Rau, officiant depuis un lit géant en guise de bureau, spécialement conçu pour l’occasion par des étudiants en art.
Dans cette République, il y aura aussi des tribunaux, avec de vrais avocats, juges et politiciens, et trois procès de saisie heures chacun mais sans verdict. Sur le banc des accusés, lui-même prendra place pour incarner « le système de l’art élitiste« , puis la République autrichienne et enfin le parti d’extrême droite FPÖ, habitué des cercles du pouvoir en Autriche et favori des législatives prévues fin septembre.
Son but: dans une capitale autrichienne qui entretient la nostalgie de son âge d’or, celui du peintre Gustav Klimt ou du fondateur de la psychanalyse Sigmund Freud, célèbre « un second modernisme, démocratique et ouvert sur le monde« .
Anne Beade © Agence France-Presse
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