Après Le Premier Sexe ou la Grosse Arnaque de la virilité où il réglait ses comptes avec le genre, Mickaël Délis resserre la focale et cible « la bête » ou, pour le dire plus crûment, à une lettre près, la « bite », et l’injonction à la puissance véhiculée avec. Ce deuxième seul en scène est tout aussi mordant que le précédent. Aussi drôle qu’intelligent, il remet les idées en place et donne la patate.
Malgré les thèmes qu’il traverse, malgré l’autofiction comme terreau au scénario qu’il endosse en solo, Mickaël Délis s’adresse à tout le monde, gente masculine et féminine confondues, et son appétit du partage est à l’œuvre depuis son entrée en matière en adresse directe au public jusqu’à ce final bras ouverts qui fait de la tendresse une vertu première. Entre temps, il nous aura amusé, éblouit, ému, séduit, appris, réveillé à maints égards sur un sujet de prime abord pas évident. Le sexe masculin, terrain glissant, symbole de force au garde-à-vous, tabou quand il est mou. Source de jouissance et d’épanouissement qui vire à l’obsession chez notre hôte qui le pratiquait avec une cadence digne d’un sportif de haut niveau. De son addiction au sexe, Mickaël Délis fait le point de départ de sa réflexion sur lui-même autant que sur tout un système. Et démonte avec autant de verve que d’érudition, de plaisir malin que d’émotion, une société basée sur l’apologie de la puissance érectile.
La scénographie, légère et à propos (œuvre de son frère jumeau Davis Délis), distille avec humour sa déclinaison de néons, et la lecture métaphorique induite par leur forme oblongue est exploitée à dessein tout autant que leur potentiel esthétique et narratif infini. Tantôt ciseaux de jardinage, croix christique, canne, bâtons de ski, relai de parole, tréteaux de bibliothèque, flûte traversière, batte de golf ou sabre laser, l’accessoire est une mine pour l’imaginaire, une source de jeu enfantine qui déjoue tout écueil de vulgarité ou simple dérapage de grossièreté tout en évoquant en creux les lumières du Red Light District d’Amsterdam et autres backrooms sulfureuses ou encore un matériau très usité dans l’art contemporain. C’est là le tact et la haute voltige de ce comédien lumineux à la plume vive et généreuse, appeler un chat un chat sans hypocrisie ni fausse pudeur, embrasser un sujet aussi intime que politique, affaire privée et de santé publique, reflet de notre éducation, de nos névroses, d’une société fermement campée sur cet indéboulonnable fief de la virilité. En virevoltant littéralement d’une figure à une autre, de son inénarrable mère en son jardin délivrant ses oracles analytiques tordants à son agent un tantinet harcelant qui essaie tant bien que mal de caser son poulain sur un rôle de figurant en passant par l’urologue expert en la matière, le généraliste, le copain italien et le psy post mortem, Mickaël Délis multiplie les angles d’approche, il tourne sa thématique dans tous les sens pour en comprendre les aspects, les affects, les enjeux sous-jacents. Car le sexe est l’arbre qui cache la forêt de nos doutes, de nos failles, des injonctions sociétales et représentations collectives.
Il en fallait du cran pour s’attaquer au sacro-saint phallus dont on découvre entre autres révélation historique que l’étymologie a donné les mots fascination et fascisme. Il en fallait de l’audace pour décrypter sa propre libido au plateau et l’envie ferme d’en découdre pour régler son compte à l’emprise capitaliste sur nos amours. Jusque sous la couette, le vocabulaire guerrier afflue et vient tartiner nos ébats à base de gourdin, de mitraille, de défonce et autre réjouissance métaphorique aberrante. Stop au mythe du conquérant et de la conquête, stop au stéréotype de la performance comme valeur virile suprême, stop à la compétition, la comparaison, la confrontation. Stop au narcissisme en dessous de la ceinture. Non à la honte aussi. Au bout de sa traversée réflexive aussi hilarante que touchante, à mi-chemin entre l’introspection et l’observation sociologique, Mickaël Délis aura abordé l’addiction sexuelle, la menace des MST en particulier le fléau du Sida sur une génération, le désastre du marketing pornographique, son lien gémellaire à son frère, la maladie de son père, l’andropause… le tout à coup de punchlines et avec un sens de la formule qui fait mouche, à coup de chiffres et statistiques aussi, de lectures édifiantes et oxygénantes, de rencontres instructives. L’écouter c’est s’élever, grandir avec lui, accueillir le lâcher-prise et s’autoriser la vulnérabilité.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
La Fête du slip ou le pipo de la puissance
Ecrit, interprété et co-mis en scène par Mickaël Délis
Co-metteurs en scène : Papy de Trappes, Vladimir Perrin, David Délis
Consultant chorégraphique : Clément Le Disquay
Création Lumières : Jago Axworthy
Collaboration à l’écriture : Romain Compingt
Production Reine Blanche
Co-production Compagnie Passages
Avec le soutien de la MAC de Créteil, L’Espace Sorano de Vincennes,, Le Cresco de Saint-Mandé, L’ECAM du Kremlin-Bicêtre, Le Carreau du Temple, Les Récollets, La Grande Histoire, Les Avant-Postes à Bordeaux, le 5bis à la RéoleDurée : 1h15
Du 8 mai au 14 juin 2024
Théâtre de la Reine BlancheDu 3 au 21 Juillet 2024
Avignon – Reine Blanche
dans le cadre d’un diptyque avec « Le Premier Sexe ou la grosse arnaque de la virilité »
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