Dans une mise en scène syncopée, Myriam Boudénia fait place à une adolescente troublée qui retrouve son souffle en croisant la légende du roi Arthur. Un travail où l’expérimentation sonore et visuelle fait récit.
Elle s’appelle Viviane. Son prénom apparait dans le découpage d’une page blanche rétroprojetée qui se rempli de couleurs. C’est aussi comme ça que se nomme la Dame du Lac, pendant féminin de Merlin l’Enchanteur dans les légendes du roi Arthur. Elle sera sa bouée. Car Viviane se noie. À 16 ans, elle a de la « bouillasse dans la tête », ça ne va pas fort, les mots des autres la parasitent. Comme beaucoup, elle a « mieux entendu pendant le confinement car il y avait moins de bruit » nous dit la narratrice. Elle n’a désormais plus envie de sortir de sa chambre donc ses parents l’ont faite enfermer, à l’hôpital. CQFD. Entre Moyen-Âge et aujourd’hui, Myriam Boudénia donne vie à cette ado et l’accompagne dans sa route en ce jour où elle retourne au lycée. Ce trajet est un parcours théâtral de plus d’une heure et quart qui manquait de rythme lors de sa toute première représentation. Mais ça se trouvera sans nul doute. Car, pour aller au tréfond de son sujet, l’autrice et metteuse en scène (et même actrice ici) s’est aventurée sur le terrain de l’expérience sonore.
À défaut d’un texte charpenté – il hoquette volontairement à l’image de cette jeune fille qui s’y reprend à plusieurs fois pour revenir à la vie normée et normative – la directrice de la compagnie lyonnaise de la Volière choisit de donner une épaisseur à ces bourdonnements, ces empêchements, au point que ce travail sur le bruit et les chants occupent deux des quatre artistes au plateau, Julien Vadet et Eloïse Decazes. Ils composent des boucles sonores, prennent le son, le triture. Ils font exister les voix intérieures, le brouhaha, les injonctions, ce que les adultes pensent de Viviane sans lui dire. Cette transparence est sa tyrannie. C’est avant tout cela que parvient à mettre sur le plateau Myriam Boudénia, plus que les corps souvent contrits dans cet espace encombré et modulable à l’envi, opérant surtout lorsque les éléments sont supports à traverser difficilement le lac de la légende. Le danger pointe, les eaux invisibles semblent profondes.
Toute entière construite sur ce fil de la santé mentale de Viviane, cette pièce parfois s’embourbe dans d’inutiles longueurs avec le personnage de la bonne copine, Feriel, qui paraphrase ce qui s’incarne pleinement en sons et en gestes. Qui ajoute un rap moins tenu que les chansons de geste, ossature de cette expérimentation. La tentation de la facilité point à ce moment-là quand chacun enfile un costume à paillettes comme si la liberté retrouvée de Viviane était moins simple à gérer au plateau que son cheminement pour y parvenir.
Car la force de ce travail réside bien dans la minutie non seulement accordée au son mais aussi à sa plastique qui apparait de façon presque trop éphémère. Des ombres projetées de maquettes d’arbres créent un des paysages très évocateurs de l’univers mental de Viviane tout comme les élégantes projections de dessins qu’un spectacle jeune public pourrait emprunter tant ils sont soignés.
Après de récents textes choral (« Palpitants et dévastés », « Héloïse ou la rage du réel », variation sur l’enlèvement de Patricia Hearst dont la mise en scène a été faite par Pauline Laidet) ou de petites formes (l’introspectif « L’avenir n’existe pas encore »), Myriam Boudénia semble de plus en plus faire de son écriture un matériau pour une fabrique artisanale du théâtre.
Nadja Pobel – www.sceneweb.fr
Viviane, une merveille
Texte et mise en scène : Myriam Boudenia
Avec Pauline Drach, Myriam Boudenia, Éloïse Decazes et Julien VadetComposition musicale Éloise Decazes, Julien Vadet
Scénographie et objets Quentin Lugnier
Lumière Myriam Bertin
Costumes Gabriella Lopez
Assistanat à la mise en scène Morgane Khider
Régie générale Chloé Barbe
Administration/production Lou Mazet
Production La Volière
Coproduction Les Célestins, Théâtre de Lyon, L’Auditorium Seynod – Scène régionale
Avec le soutien de la DRAC Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Auvergne-Rhône-Alpes et la Ville de Lyon, le Fonds SACD Musique de Scène
Avec l’aide du dispositif d’insertion professionnelle de l’ENSATT
Avec l’aide à la résidence de l’Assemblée – fabrique artistique à Lyon, du TNG – CDN de Lyon, de l’Auditorium Seynod, du Département de Haute-Savoie, de l’Établissement Public de Santé mentale de Haute-Savoie (La Roche-sur-Foron), de la cité scolaire Lacassagne – Lyon
Spectacle lauréat du fonds SACD musique de scène.Durée 1h20
Création le 5 mars 2024 aux Célestins (Lyon)
Aux Célestins de Lyon
Du 5 au 16 mars 2024À l’Auditorium Seynod (74)
Le 21 mars
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