Le metteur en scène et chorégraphe poursuit son exploration des existences connectées et de notre rapport aux écrans, mais se fait prendre au piège de la vacuité du contenu numérique qu’il reproduit.
Qui ne s’est jamais laissé happer par un enchaînement de ces vidéos, souvent très courtes, qui, parfois sans crier gare, tombent sous notre regard au milieu d’une navigation sur Internet ? Un tant cantonnées aux applications spécialisées, à l’image de TikTok qui en a fait son fonds de commerce, ces petites capsules pullulent partout, en particulier sur les réseaux sociaux tels Instagram, Facebook et Twitter. En complément des vidéos au format beaucoup long présentes sur YouTube, elles s’imposent comme un nouveau mode de communication, voire un nouveau standard avec lequel il faudrait composer et qui ferait passer l’écrit, notamment aux yeux de la jeune génération, pour une triste antiquité. Dopé aux algorithmes, qui connaissent souvent nos propres goûts et désirs mieux que nous-mêmes, ce défilement hypnotique, activé, ou non, par un scroll qui n’en finit jamais, a la saveur de l’infinité, et c’est elle qui, dans nos sociétés d’hyperconsommation, lui procure une partie de son pouvoir.
Et c’est dans ce fragment de la sphère numérique que Vincent Thomasset a décidé de plonger tête la première. Avec Tranversari, créé l’an passé, le metteur en scène et chorégraphe avait déjà commencé à sonder nos existences connectées, à faire, au travers du corps, l’expérience de l’ultra-moderne solitude augmentée. Invité durant un mois à la Maison des Métallos, il poursuit, avec Vidéo-like, cette quête, celle qui le pousse à regarder les écrans de plus près pour voir comment ils agissent sur le monde réel. Dans un geste intellectuellement radical, l’artiste n’y est, cette fois, pas allé par quatre chemins et a choisi de transposer ce contenu numérique sur scène, de transformer quelques vidéos collectées sur Internet en partition théâtrale. Pour cela, Vincent Thomasset s’est habilement, et judicieusement, passer des écrans. Sur le plateau, il n’en reste que deux, situés à l’avant-scène, qui, en étant orientés vers les trois interprètes, tournent, avec une malicieuse symbolique, le dos au public. Issus de générations différentes, Arianna Aragno, Claire Haenni et Julien Gallée-Ferré sont chargés de reproduire ce qu’ils y voient, ni plus, ni moins, et, à travers eux, se succèdent tous les canons de ce qu’il est convenu d’appeler la « culture numérique », des monologues de youtubeurs à destination de leurs followers à un cours de méditation un peu bidon, des danses des personnages de Fortnite à un concours d’engloutissement d’hamburgers, en passant par un père qui, dans un accès de rage, détruit la console de jeux de son fils.
Ces vidéos, Vincent Thomasset en présentent alors une version à l’état ultra brut. Privés de leur décorum, où réside parfois une partie de leur attractivité, les scripts et gestes, tout juste soutenus, de temps à autre, par des sons, des voix et un peu de musique, apparaissent dans leur plus simple appareil et voient leur contenu exposé au grand jour grâce au jeu mimétique des trois comédiens. Rapidement, le plateau prend des allures de timeline grandeur nature où auraient été scellés des extraits de vidéos, souvent très courts, à l’instar de la durée du spectacle qui n’excède pas l’heure de représentation. Par ce procédé, le metteur en scène et chorégraphe semble vouloir les passer au banc d’essai, les dépouiller pour en atteindre le coeur, et voir si, ainsi mises à nu, elles auraient encore des choses à nous dire et si leur pouvoir de fascination serait toujours intact.
Las, pour elles comme pour nous, il est peu de dire que leur capacité d’attraction, perturbée par ce traitement de choc, en ressort largement émoussée. Malgré la performance d’Arianna Aragno, Claire Haenni et Julien Gallée-Ferré, tous les trois impeccables dans leur entreprise mimétique, ce scroll vivant tourne rapidement à vide et se laisse piéger par la vacuité dont il s’est très largement inspiré. Sans doute mu par la volonté de reproduire le rythme effréné qui fait une partie du sel du medium numérique, ce défilement ne donne pas toujours l’occasion de clairement identifier ce qui se joue et de comprendre précisément le contenu de chaque capsule. Pris dans une logique de sérendipité, le travail de compilation du metteur en scène ne va alors pas au-delà d’un panorama de ce qui se dit, se fait, se produit sur Internet, et manque d’un réel parti-pris qui, dans l’enchaînement proposé, en montrerait la richesse ou, au contraire, en aiguiserait la vacuité. Pris en étau par son concept même, Vidéo-like a alors l’allure d’un pari osé, mais perdu, comme si Vincent Thomasset s’était fait prendre à son propre jeu.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Vidéo-like
Conception, partition sonore et vidéo Vincent Thomasset
Avec Arianna Aragno, Julien Gallée-Ferré, Claire Haenni
Production, développement, administration Raphaël Bas
Bande originale à partir des compositions de Kevin MacLeod
Création du dispositif sonore, collaboration au montage son Pierre Boscheron, Maxime Jerry-Fraisse
Création du dispositif vidéo Baptiste Klein, Maxime Touroute
Regards extérieurs Maya Boquet, Ilanit Illouz
Assistant monteur vidéo César Simonot
Assistante mise en scène Léa Falconnet
Assistant chorégraphie et régie vidéo Igor Almeida
Costumes Noémie Balayre, Angèle Micaux
Regard scénographique Marine BrosseProduction Laars & Co
Coproduction La Briqueterie – CDCN du Val-de-Marne ; Le Carreau du Temple ; La Place de la Danse – CDCN Toulouse Occitanie
Avec le soutien de Montevideo, de Marseille – Centre National de la Danse, de La Soulane et de l’Adami.
L’association Laars & Co est soutenue par le ministère de la Culture – DRAC Île-de-France au titre de l’aide au conventionnement et par le Conseil départemental du Val-de-Marne au titre de l’aide au développement artistique.
Ce projet est soutenu financièrement par la Région Île-de-France.Durée : 50 minutes
Maison des Métallos, Paris
du 12 au 16 mars 2024
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