Repérée dans Exit Above d’Anne Teresa De Keersmaeker au festival d’Avignon 2023, la chanteuse belge d’origine éthiopienne donne l’impression de savoir tout faire et s’impose comme l’une des artistes les plus prometteuses du Plat Pays.
Nous n’avions jamais entendu parler d’elle, nous ne connaissions pas sa musique et nous ignorions son histoire. Meskerem Mees est arrivée sur la scène de La FabricA avec le spectacle Exit Above, dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker, à l’occasion du festival d’Avignon 2023, et ce fut une apparition. Il fallait la voir Meskerem Mees ; cette jeune femme noire à l’allure enfantine, les cheveux coupés court, la tête haute, le regard porté sur l’horizon. Étrangement inexpressive. Étrangement digne.
Elle se tenait parmi les danseurs choisis par la chorégraphe belge, au centre. Elle se mit à se balancer, tantôt sur le pied gauche, tantôt sur le pied droit, évoquant une femme qui marche depuis une éternité. Elle se mit à chanter, tantôt ses propres chansons, tantôt celles des guitaristes Jean-Marie Aerts et Carlos Garbin, incarnant une blueswoman qui serait revenue de tout, avec sa voix délicate, mais puissante, toujours maîtrisée à la perfection. On aurait pu l’écouter et la regarder ainsi danser des heures. À présent, une demi-année de théâtre s’est écoulée, et c’est elle qui s’impose comme la figure marquante de 2023.
Pour la joindre, il faut en passer par son manager de musique, en Belgique. Parce qu’en France, l’artiste n’est pas (encore) très connue. Mais au Plat Pays, elle profite déjà d’une certaine renommée. Deux albums (Julius, paru en 2021 et Caesar, sorti en 2022), à cheval entre la folk lo-fi et le blues old school, ont fait d’elle une compositrice à suivre. Deux concours remportés haut la main (Sound track en 2019, et Humo’s Rock Rally l’année d’après) ont attiré l’attention médiatique, et l’attention tout court.
C’est sur You Tube qu’Anne Teresa De Keersmaeker a fait sa découverte. Charmée, la chorégraphe lui a proposé d’écrire la musique de son prochain spectacle Exit Above, qui doit être inspiré par la figure du bluesman Robert Johnson. À sa place, n’importe quelle compositrice de 23 ans aurait hurlé de joie. Pas elle. « J’étais en tournée avec mes albums. À nouveau, je n’avais pas envie de jouer tous les soirs les mêmes morceaux, quatre fois par semaine, pendant des mois. Il me fallait de la nouveauté, et un challenge. Alors, je lui ai demandé si je pouvais, en plus de la création musicale, danser sur scène. Et contre toute attente, elle a dit oui. Alors, je me suis mise à danser. »
Aussi simplement que cela, elle s’est mise à danser… Meskerem Mees donne l’impression qu’elle peut à peu près tout faire, et elle le fait. En plus de la musique et de la danse, elle parle quatre langues (le flamand, l’anglais, le français et l’allemand – qu’elle apprend), elle réalise actuellement un court-métrage, expérimente pour changer de registre musical et intégrer davantage d’instrumentises à sa formation. On ne serait pas étonné de la voir un jour diriger la Belgique.
Pourtant, tout n’était pas gagné d’avance. Meskerem Mees est née en Éthiopie le 15 juillet 1999. Elle fut abandonnée par ses parents. Livrée à une précarité que l’on peut difficilement imaginer. Prise en charge par un orphelinat. Adoptée par une famille belge. « J’avais dix mois, et j’étais trop jeune pour avoir des souvenirs, disons… Conscients. À part mon apparence, rien ne me rattache à l’Éthiopie. » C’est dans la campagne belge qu’elle grandit. « J’ai eu une enfance heureuse. J’avais tout mon temps pour regarder l’herbe pousser et le ciel changer de couleur, et la permission de faire à peu près ce que je voulais. » Alors, elle se tourne vers les arts. Alors, elle se lance dans le classique, bifurque vers le moderne, entame la composition, accélère… À l’écouter, l’ennui, ou plutôt la crainte de l’ennui, guide son parcours, qui ne semble jamais réfléchi.
Aujourd’hui, Exit Above, qui tournera pendant toute l’année 2024, entre la France, l’Espagne et les Pays-Bas et l’Angleterre, l’oblige à voir venir. Malgré le succès, l’artiste donne l’impression d’avoir la tête sur les épaules, reconnaissante, certes, mais surtout consciente qu’elle doit préserver et entretenir son inspiration. Ainsi partie, Meskerem Mees ne devrait pas uniquement marquer l’année 2023.
Igor Hansen-Løve – sceneweb.fr
Le Palmarès d’Igor Hansen-Løve
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