Dans Tout le monde est là, créé en ouverture du Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville-Mézières, Simon Delattre met en scène et en marionnettes l’histoire de sa famille sur une centaine d’années. Il signe une épopée plaisante affichant le désir de contribuer à une réflexion sur la paternité et les modèles familiaux hors-normes.
Avec les créations de sa compagnie Rodéo Théâtre, qu’il fonde en 2014, Simon Delattre aime à dire la possibilité du lien, de la solidarité. À travers des fictions qui ont souvent une part de réalité, il donne à voir des êtres qui se rencontrent et s’épaulent même quand tout les sépare ou que rien ne va. La famille est presque toujours l’endroit où se tissent ces relations. Parfois, lui et les auteurs à qui il passe des commandes d’écriture – c’est aussi là l’une des particularités de Rodéo Théâtre que de travailler avec des auteurs contemporains – s’inspirent pour décrire ces rapports d’œuvres littéraires et de contes existants. C’est le cas dans La rage des petites sirènes écrit par Thomas Quillardet et dans La vie devant soi, adaptation du roman éponyme de Romain Gary. D’autres fois, ils se nourrissent du parcours de personnes réelles, comme dans L’éloge des araignées, écrit par l’Anglais Mike Kenny et traduit par Séverine Magois, qui convoque le fantôme de la sculptrice et plasticienne Louise Bourgeois. Tout le monde est là, la nouvelle création de Simon Delattre, écrite de nouveau par Mike Kenny, est aussi de cette veine irriguée par du vécu. Et par n’importe lequel, apprend-on sur la feuille de salle du spectacle : celui de Simon Delattre lui-même et de sa famille.
Entre Enky, la fille de Daniel et Sébastien, née grâce à une gestation pour autrui (GPA) aux États-Unis et son arrière-grand-père, un certain Jo au charme insaisissable – il fut tour à tour acteur de cinéma, catcheur, forain ou encore pilote de course et eut des enfants hors-mariage –, il y a bien du monde. Il naît et il meurt bien des pères, des mères et des enfants, et tous sont au rendez-vous dans Tout le monde est là, qui s’étend alors sur une centaine d’années, quand les spectacles précédents de Simon Delattre se concentraient sur un petit nombre de personnages et sur un laps de temps réduit. Bien que s’inscrivant dans une forme de continuité par l’écriture, et par un tissage entre théâtre, marionnette et musique qui est encore une marque de fabrique du Rodéo Théâtre, ce spectacle est pour la compagnie une marche importante. Jamais auparavant cette dernière n’avait embrassé son sujet favori, la famille, de manière si vaste. Simon Delattre et sa compagnie vont à leur épopée sans emphase, avec leur simplicité habituelle. C’est ce qui fait la délicatesse du spectacle, mais aussi ses limites.
Sous la direction de Simon Delattre, accompagné par son collaborateur artistique Yann Richard, les sept interprètes de la pièce – Salomé Benchimol, Jérôme Fauvel, Léopoldine Hummel, Julie Jacovella, Chloé Lorphelin, Pier Porcheron et Philippe Richard – savent porter avec fluidité la fresque familiale. Ils ont pour cela largement recours au ton et aux mécanismes du conte. Plus que des protagonistes aux personnalités bien définies, celles et ceux qui sont là sont des figures qui existent d’abord par leur place dans l’écheveau familial d’autant plus complexe que les normes sociales n’y sont pas de mise. La liberté, la démesure de certains des individus qui nous sont présentés sont dignes de celle qu’on trouve chez les héros de bien des histoires pour enfants. Cette forme de naïveté n’est pas sans grâce. Mais elle occulte entièrement la part très intime du spectacle, pourtant définie comme centrale par l’artiste lui-même. Lui-même n’étant pas en scène, et aucun indice ne venant dans la pièce nous mettre sur cette piste autobiographique, elle ne nourrit en rien ni l’intrigue ni le mélange de jeu et de manipulations mis à son service. Cela aurait certainement souligné les reliefs, les aspérités du récit, qui en l’état est assez homogène.
La chronologie de Tout le monde est là a beau ne pas être linéaire du tout, nous promenant sans cesse du présent à différentes strates du passé, les courtes scènes ciselées qui la composent et se succèdent à un rythme vif peinent à rendre compte des doutes, du courage, des petites et grandes transformations que connaît la famille au fil du temps. L’alternance de scènes jouées dans une sorte de grand castelet, par des marionnettes de la hauteur d’un demi-homme manipulées par les interprètes qui ne s’en cachent pas du tout, et de moments purement théâtraux ne suffit pas à donner à l’ensemble la trépidation que l’on aurait pu attendre. Les miracles que permet la marionnette, comme la rencontre au plateau entre des morts et des vivants, ou encore la cohabitation entre des adultes et les gamètes qui les ont précédés, peinent eux aussi à acquérir la force et l’étrangeté qu’ils méritent. Or c’est dans ses croisements d’époques et d’êtres à différents stades de leur vie que réside la plus grande singularité de Tout le monde est là.
Grâce à Léopoldine Hummel, qui en plus d’incarner dans la pièce le rôle de la donneuse d’ovocyte, lesbienne au grand cœur, interprète régulièrement les chansons qu’elle a composées pour l’occasion, le récit réussit pourtant quelques belles envolées. Le reste du temps, il invite à réfléchir à la masculinité ainsi qu’aux modèles familiaux, sans rien innover en la matière mais sans prétendre non plus le faire, avec l’humilité de ceux qui savent venir après les grands chamboulements. Faute de bouleverser, Tout le monde est là entretient habilement les déconstructions, les pensées nées de révolutions menées par d’autres.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Tout le monde est là
L’oeuvre de Mike Kenny est représentée en France par Séverine Magois en accord avec Alan Brodie Londres.
Écriture : Mike Kenny
Traduction : Séverine Magois
Mise en scène : Simon Delattre
Collaboration artistique : Yann Richard
Avec : Salomé Benchimol, Jérôme Fauvel, Léopoldine Hummel, Julie Jacovella, Chloé Lorphelin, Pier Porcheron, Philippe Richard
Musique : Léopoldine Hummel (Lépolodine HH)
Scénographie : Tiphaine Monroty assisted by Séraphine Boucreux
Coach marionnettes : Aïtor Sanz Juanes
Création lumière : Jean-Christophe Planchenault
Création sonore : Julien Lafosse
Construction des marionnettes : Anaïs Chapuis, Marion Belot, Aïtor Sanz Juanes
Costumes : Clémence Delille assisted by Élise Appenzeller
Couturière : Angèle Gaspar
Régie plateau : Marion Pauvarel, alternating with Romain Ducher
Régie lumière : Jean-Christophe Planchenault, alternating with Chloé Libereau
Régie son : Julien Lafosse, alternating with Laurent Le Gall
Régie générale : Jean-Christophe Planchenault
Administration et production : Bérengère Chargé
Production et diffusion : Claire Girod
Administration de tournée : Mathilde Ahmed Sarrot
Communication et production : Iseult ClauzierCoproduction, accueil en résidences : Le Théâtre de la Coupe d’Or, Scène conventionnée de Rochefort / Espace Marcel Carné de Saint-Michel-sur-Orge / Théâtre Le Sémaphore, Port-de- Bouc / Le Sablier, Centre National de la Marionnette / Théâtre d’Angoulême, Scène nationale / Théâtre Massalia, Scène conventionnée de Marseille / Théâtre de Laval, Centre National de la Marionnette / Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes (Charleville-Mézières) / Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan / Théâtre du fil de l’eau, Ville de Pantin / La Coursive, scène nationale de La Rochelle, Les Tréteaux de France, Centre Dramatique National
Soutien : La Chartreuse de Villeneuve lès- Avignon, Centre national des écritures du spectacle / Fonds SACD Musique de Scène / Rodéo Théâtre est soutenu par DRAC Île-de- France, Ministère de la culture au titre du conventionnement / Region Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle.Salle Jacques Brel, Pantin (93)
Les 8 et 9 novembre 2023Théâtre de Laval, CNMa (53)
Le 14 novembre 2023Le Sablier, CNMa, Ifs (14)
Les 16 et 17 novembre 2023Le Sémaphore, Port-de-Bouc (13)
Le 23 janvier 2024Théâtre Massalia, Scène conventionnée, Marseille (13)
Les 25 et 26 janvier 2024EMC, Saint-Michel-sur-Orge (91)
Le 1er février 2024Théâtre de la Coupe d’or, Rochefort (17)
Les 4 et 5 avril 2024La Coursive, Scène nationale de La Rochelle (17)
Les 8 et 9 avril 2024Théâtre d’Angoulême, Scène nationale (16)
Le 11 avril 2024Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan (57)
Le 14 mai 2024
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