Dimanche 21 mai, le chorégraphe français à la tête du Tanztheater Wuppertal depuis septembre dernier, a rassemblé 183 danseurs dans une performance XXL le long d’une rue de la ville d’Allemagne de l’ouest.
Quel est donc cet alignement de corps colorés, se tortillant sur le sol, lançant des cris stridents ou feignant de chuter comme l’on joue avec la vie ? Âgés de 16 à 88 ans, ces hommes et ces femmes dansent sur des cercles bleus, oranges, verts, jaunes, rouges, blancs… et forment une longue file humaine. Au-dessus d’eux, les passagers de la Schwebebahn – cette sorte de métro suspendu caractéristique de Wuppertal, affichent des mines ébahies devant cet inhabituel spectacle. Le responsable ? Boris Charmatz lui-même ! Le chorégraphe français, arrivé en septembre dernier à la tête de la compagnie du Tanztheater Wuppertal, autrefois dirigée par la grande chorégraphe Pina Bausch (disparue en 2009), a proposé dimanche 21 mai son premier geste chorégraphique depuis sa prise de fonction. L’artiste a imaginé une ligne de danseurs placés les uns devant les autres dans des zones de couleurs sur le goudron de la Sonnborner Straße, privée de ses voitures pour l’occasion. « Je trouve que l’espace public a besoin de danse », explique Boris Charmatz. Le choix de ce lieu atypique, excentré de la ville, n’est pas anodin. « C’est une rue qui a été traumatisée car elle a été coupée par l’autoroute A46 qui la traverse aujourd’hui. C’est devenu un cul-de-sac et une blessure pour la ville. Et puis, la Sonnborner Straße est l’une des seules rues où la Schwebebahn passe au-dessus. Comme on fait une chorégraphie en ligne, travailler avec ce pilier de Wuppertal était assez inévitable », précise le chorégraphe de 50 ans.
Montée en dix jours, cette performance XXL programmée dans le cadre d’une série d’événements intitulée Wundertal relève du défi. 183 danseurs nourrissent cette procession, dont une large majorité d’amateurs. Un appel à candidature a été lancé pour les recruter avec un grand succès à tel point que Boris Charmatz et ses équipes ont dû faire des choix. « Ça a été un problème, explique-t-il. Ce n’était pas un projet où j’avais envie de sélectionner les gens. » Une fois la cohorte constituée, les répétitions avec la vingtaine de danseurs professionnels du Tanztheater Wuppertal ont pu débuter. Ces derniers ont joué le rôle de professeur – chose inédite dans leur travail –, enseignant les rudiments de la danse à ces nouveaux apprentis. Ensemble, amateurs et professionnels ont façonné la trame d’une performance étrange et troublante. Autour de cette ligne, les spectateurs naviguent entre les différents états composant l’objet chorégraphique.
Le départ est un décompte, en allemand. Les troupes s’amassent, échauffant leurs corps comme de vrais athlètes avant de garnir l’enfilade de corps. Plus loin, une poignée de danseurs manifestent, scandant des slogans militants en français (« Darmanin violeur, l’Etat complice »), en allemand, en italien ou en anglais. A côté, une femme coupe ses cheveux ; un homme esquisse une grimace ; son voisin se frotte le dos contre la chaussée. La bave, les cris, les états de folie puisent dans les entrailles de celles et ceux qui les performent et des spectateurs qui les regardent. Ces drôles d’oiseaux suscitent des sourires intrigués et beaucoup de rires. La danse voulue par Boris Charmatz est un relai où les membres de chaque équipe, ou plutôt couleur, nourrissent la ligne durant les trois heures du spectacle. Ces formes répétées, comme une transe psychédélique, suivent les vibrations de la musique. Des bruits de vague, les notes d’un orgue chantant, une mélodie inquiétante résonnent en boucle dans la rue. En bout de course, les danseurs semblent réduits à l’état de zombie avant de quitter pour quelques minutes la ligne et recommencer depuis le début.
Ce cycle performatif est la première étape du travail de Boris Charmatz à Wuppertal. Les projets du chorégraphe foisonnent. En septembre, Liberté Cathédrale, sa première création en tant que directeur du Tanztheater, sera dévoilée dans la ville de la Rhénanie-du-Nord-Westphalie du 8 au 16 puis en France, à la Biennale de la danse de Lyon les 22, 23 et 24. Boris Charmatz veut également continuer les performances dans les espaces publics. « Je souhaite transformer des parkings ou des rues en lieux verts chorégraphiques à ciel ouvert », révèle-t-il. L’artiste ambitionne aussi de reprendre les créations, mises en suspend ces dernières années au profit des œuvres du répertoire de Pina Bausch.
« Je ne veux pas qu’on reste enfermés dans cette histoire et cette mémoire. Nous devons rester une compagnie de danse vivante avec un répertoire qui est vivant. Et ce qu’on va faire ensemble, ce n’est rien de ce que les danseurs auraient pu faire sans moi et ce n’est rien de ce que moi j’aurais pu faire sans eux. » Nommé pour un mandat de 8 ans, Boris Charmatz œuvre en outre à l’émergence du nouveau centre Pina Bausch aux missions encore floues. En attendant, le travail avec des amateurs forme une piste de réflexion pour faire vivre les œuvres de la chorégraphe allemande. « Il y a quelque chose de très concret avec des gens qui n’ont quasi-jamais dansé, explique Boris Charmatz.Je suis sûr que ça peut nous informer, nous transformer. »Et ajoute : « je vais voir ce qui va se passer. La compagnie est dans un tournant, mon travail aussi. C’est une aventure qui commence. »
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
Chorégraphie Boris Charmatz
Assistante chorégraphique Magali Caillet Gajan
Danseurs assistants membres du Tanztheater Wuppertal Pina Bausch Ensemble
Avec 200 danseurs et danseurs amateurs de Wuppertal et ses environs, des étudiants de Folkwang Universität der Künste/Institut für Zeitgenössischen Tanz et Hochschule für Musik und Tanz Köln für Zeitgenössischen Tanz, le Gesamtschule Langerfeld, le Berufskolleg Kohlstrasse,
et le Tanztheater Wuppertal Pina Bausch Ensemble
Son Olivier Renouf
Costumes Florence Samain
Directeur technique Michael Thöne
Régisseurs son Karsten Fischer, Andreas Eisenschneider
Chargée de production Julia Honer
Production Tanztheater Wuppertal Pina Bausch and [terrain]
Remerciements : Claus Baermann, Stephan Brinkmann, Doris Eichler, Heiner Fragemann, Muriel Garric, Erik Houllier, Andreas Jacob, Bettina Kubanek-Meis, Jürgen Lohe, John McGrath, Perig Menez, Chris Pölking, Andreas Rosenberg, Vera Sander, Constanze Schellow, Alexandra
Szlagowski, Dusa Topalovic, Alina TskhovrebovaWundertal / Sonnborner Strasse est une nouvelle version de Sea Change créée le 1er juillet 2021 pour l’ouverture du Manchester International Festival.
production Manchester International Festival and [terrain]Liberté Cathédrale
du 8 au 16 septembre à Wuppertal (Allemagne)
du 22 au 24 septembre à la Biennale de la Danse de Lyon
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