Avec Portrait d’un artiste en ermite ornemental, le Festival d’Avignon offre une riche immersion dans l’univers touchant et singulier du conteur belge, où le récit se marie aux arts plastiques pour faire voyager les spectateurs dans des contrées imaginaires qui invitent à regarder le réel autrement.
Dans la programmation de la 77ème édition du Festival d’Avignon, la présence de Patrick Corillon apparaît comme une curiosité. Déjà, cet artiste belge vient non pas avec une création, mais avec plusieurs formes qu’il rassemble sous le titre Portrait d’un artiste en ermite ornemental : une exposition, deux créations anciennes qu’il interprète lui-même – L’appartement à trous (2013) et Les images flottantes (2015) –, deux formes brèves créées pour l’occasion, portées par sa compagne Dominique Roodthooft, et enfin des films d’animation. Avec sa réputation confidentielle dans le milieu théâtral – il est plus connu dans la sphère des arts plastiques pour avoir exposé dans le cadre de nombreux rendez-vous et d’institutions prestigieuses et réalisé des commandes publiques –, Patrick Corillon n’est pas à Avignon de ceux dont on attend avec impatience la nouvelle pièce. Il n’est pas là pour faire événement. En nous accueillant dans son monde où les mots et les choses ne cessent de redéfinir leurs relations, le conteur-plasticien nous emmène avec bonheur loin de toute mode théâtrale.
À peine entré dans la Chapelle des Pénitents Blancs, le spectateur a déjà un pied dans la planète Corillon. Mêlant œuvres tantôt naïves et figuratives, tantôt abstraites, et petites histoires où hommes et animaux vivent d’étonnantes aventures, l’exposition nous prépare à la rencontre avec l’artiste. Elle a lieu pour nous avec le spectacle L’appartement à trous. Pour le public du 10 au 12 juillet, elle se fera avec l’autre pièce citée plus tôt, qui appartient au même cycle de créations, Les vies en soi. C’est avec modestie, même avec pudeur que le bricoleur de contes-objets et d’œuvres-fables nous fait entrer dans son domaine. Il est, nous dit-il avant de se laisser aller à la parole qu’il a bien drue, bien rebelle à la logique commune, sensible aux remarques qu’on lui fait. En particulier à celles d’un ami qu’il ne cessera de citer parce que, souvent, il lui dit qu’il exagère. Que l’on ne doit pas faire les choses bizarres qu’il fait pour relier les mots et les choses. Par exemple se faire fabriquer un bureau à partir de l’empreinte du parquet de la prison où l’écrivain russe Ossip Mandelstam, opposant à Staline, a passé ses derniers moments.
Si Patrick Corillon a réalisé cette folie de meuble, qu’il nous montre en début de spectacle avec un charmant mélange de confusion feinte et de joie, c’est toutefois pour une bonne raison, que l’on retrouve souvent dans ses créations : afin d’affirmer la valeur de l’histoire contée, de sa capacité faire tenir l’homme debout quand tout le reste s’effondre. Car, nous explique l’artiste, sur le sol dont l’empreinte fut sauvegardée, le Russe déployait pour ses compagnons d’infortune des intrigues de son cru. On comprend d’emblée que la création, pour Patrick Corillon, est un geste de rassemblement, puis de montage de choses diverses, pour beaucoup venues du passé. Ces choses peuvent venir de lui, de son enfance en particulier, ou des autres. Dans le livret qu’il a réalisé à l’occasion du Festival d’Avignon, il rend par exemple hommage à « William Morris et ses multiples engagements ».
Comme Patrick Corillon, cet Anglais du XIXème siècle s’est illustré dans bien des pratiques artistiques : considéré comme l’un des pères du mouvement « Arts and Crafts », qui réforme à l’époque l’architecture et les arts plastiques, il fut aussi écrivain et imprimeur. On le connût encore comme militant socialiste, défenseur de l’environnement… Aujourd’hui presque oublié, ce modèle de polyvalence est ressuscité par l’artiste belge, dont le Panthéon regorge de ce type de personnalités peu communes, généreuses et touche-à-tout. Pour les pièces qu’il présente à Avignon, la figure de l’ermite ornemental est un peu l’archétype de toutes ces personnes que Patrick Corillon accueille dans son verbe tout en digressions, dans ses manipulations qui font naître en un instant paysages et silhouettes. L’ermite en question n’est pas le fruit des rêveries du conteur, mais la preuve de son érudition en forme de cabinet de curiosité. « Les ermites ornementaux ont réellement existé dans l’Angleterre des XVIIème et XIXème siècles. À l’époque, des aristocrates les accueillaient au sein de leurs jardins pour y donner une petite touche philosophique qui serait du meilleur effet auprès de leurs invités », explique-t-il.
S’il y a un ermite de cette espèce dans les spectacles de Patrick Corillon, c’est bien lui. Ou du moins le personnage qu’il incarne au plateau et qui lui ressemble. Dans L’appartement à trous, il se définit d’abord, et comme à son habitude, par sa relation au langage. Sa quête d’une langue personnelle, capable de témoigner de son rapport particulier au monde, relie sans qu’il y paraisse les nombreuses anecdotes qu’il raconte avec une légèreté évoquant celle de l’improvisateur. À la suite d’Ossip Mandelstam, qui en tant que poète du mouvement acméiste s’opposait au symbolisme pour atteindre une forme ancrée dans la matière, il associe chaque langue à un élément naturel – l’anglais avec les pierres, le polonais avec les feuilles… Cela toujours à travers de petites fables dont il est le héros candide, prêt à toutes les bizarreries tant qu’elles créent du langage et appellent à la fabrication d’objets improbables. Lorsqu’au bout d’une heure, le raconteur fou arrête le flot de sa parole, nul doute qu’elle continue de s’épanouir en lui, certain qu’elle poursuit sans s’arrêter sa marche folle jusqu’aux Images flottantes. Le conte de Dominique Roodthooft qui succède au seul en scène de Patrick Corillon, Le Voyage de la flaque, en témoigne. Elle rejoint avec bonheur tous les récits que le Belge collecte sur sa route que l’on souhaite continuer avec lui.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Portrait d’un artiste en ermite ornemental
Texte et conception Patrick Corillon
Mise en scène Patrick Corillon, Dominique Roodthooft
Avec Patrick Corillon, Dominique Roodthooft
Scénographie Patrick Corillon
Infographie et animation Raoul Lhermitte
Collaboration à la scénographie Chloé Arlotti, Rüdiger Flörke, Camille Henrard, Ioannis Katikakis, Laurette Lesage, Valérie Perin, Grégoire Trichon, Emma Werth
Assistanat à la mise en scène Nora Dolmans
Coordination Perrine EstienneProduction Le Corridor, DC&J Création
Coproduction Communauté d’agglomération Mont-Saint-Michel-Normandie, Fundamental Monodrama Festival (Luxembourg), Mars – Mons Arts de la scène
Avec le soutien de Fédération Wallonie-Bruxelles, Wallonie Emploi et Action sociale, Wallonie-Bruxelles International, Loterie nationale (Belgique), Ville de Liège, Province de Liège, Tax Shelter du gouvernement fédéral de Belgique, Inver Tax Shelter, la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, l’Institut français du Royaume-Uni – Cross-Channel Theatre pour la traduction audio en anglaisDurée : 1h40
Festival d’Avignon 2023
Chapelle des Pénitents Blancs
du 6 au 8 juillet, à 11h et 18h : L’appartement à trous & Le Voyage de la Flaque
du 10 au 12 juillet, à 11h et 18h : Les Images Flottantes & Le Dessous-Dessus
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