Au Théâtre de la Porte Saint-Martin, Alain Françon conjugue son souci de l’exactitude à la folie dévergondée du Chapeau de paille d’Italie de Labiche dans une version flirtant avec la comédie musicale emmenée par Vincent Dedienne.
Grand amateur de Tchekhov, Bond, ou Beckett, le metteur en scène Alain Françon connaît aussi bien le genre du vaudeville et ses exigences pour s’être déjà attaqué plusieurs fois à Feydeau. Il aborde néanmoins Eugène Labiche pour la toute première fois, et ce, de manière fort rigoureuse. C’est sans complaisance mais avec un souci constant du détail et de la précision qu’il fait se déployer la fameuse mécanique horlogère propre à ce type de théâtre. Chez lui, tout n’est pas seulement question de gaudriole et de tempo débrayé. S’il joue avec l’emballement vertigineux des événements embarrassants que contient l’intrigue, c’est sans aller jusqu’à l’excès de vitesse et à la giration absolue. Dans le mouvement perpétuel qu’est celui de la vie et du désordre inhérent, il prend le temps de bien camper, bien dessiner, situations et personnages, pour éviter de tomber dans les clichés.
Tenir le public en haleine pendant deux heures avec un satané chapeau derrière lequel tout le monde court s’apparente à une gageure. Mangé par un cheval au bois de Vincennes où une femme mariée prenait le frais avec son amant militaire, ce chapeau est synonyme de perdition morale et sociale. En trouver un copie-conforme pour le remplacer tient de la mission impossible mais nécessaire que va relever avec heurts et brio un jeune rentier parisien assailli chez lui par le couple adultère le jour même de ses noces. Tandis que, débarquée de Charentonneau, une bardée de convives insistants est à ses trousses, le jeune homme court de tous côtés toute la journée. Il passe de la boutique-atelier d’une modiste en qui il reconnaît une ancienne conquête, au boudoir d’une baronne mélomane où il se fait passer pour un chanteur italien. Il atterrit enfin chez le mari jaloux de la femme volage à qui il dévoile malencontreusement la liaison.
Sans chercher à se soustraire au cadre bourgeois et aux conventions qui sont celles de la société que représente le dramaturge (lui-même conservateur notoire), Alain Françon ne débarrasse pas le plateau de ses décors canoniques d’intérieurs chics et cossus. Sauf à la fin, où tout disparaît au profit d’une nuit noire peuplée de noctambules dont les silhouettes sont exsangues sous leurs grands parapluies. La fête finale mêle frénésie et teinte de mélancolie, une atmosphère à laquelle participent les interprètes de Feu ! Chatterton dont les compositions pop-rock à la fois lumineuses et spleenétiques ponctuent le spectacle.
Le rire est bien au rendez-vous, mais pas nécessairement à gorge déployée. La vingtaine d’interprètes stylés et au taquet peut pourtant paraitre encore un peu bridée. Sont réunis à l’évidence des comédiens hors pair, aussi soudés que méticuleusement dirigés. Si singulière en future épouse, Suzanne de Baecque se livre à d’étranges contorsions causées par la fichue épingle coincée dans le dos de sa robe de mariée. Pour son bourru de père, le pépiniériste Nonancourt, Françon choisit de travestir Anne Benoît qui donne une autorité rauque et ogresque à ce fat provincial. Parmi les seconds rôles, se distingue le souple et sautillant Alexandre Ruby avec ses drôles de manières et jeux de jambes. Au premier plan et étincelant, Vincent Dedienne travaille au corps et à l’esprit le rôle de Fadinard, toujours léger et enlevé. En déployant autant de classe que d’énergie pour faire du personnage principal un flambeur dont l’abattage n’est jamais forcé, il impose et confirme son indéniable talent pour le registre de la comédie.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Un chapeau de paille en Italie
Écrit par Eugène Labiche
Mise en scène Alain Françon
Avec Vincent Dedienne, Anne Benoit, Eric Berger, Emmanuelle Bougerol, Rodolphe Congé, Laurence Côte, Suzanne De Baecque, Luc-Antoine Diquéro, Noémie Develay-Ressiguier, Antoine Heuillet, Tommy Luminet, Marie Rémond, Alexandre Ruby …Musiques Feu! Chatterton
Décors Jacques Gabel
Lumières Joël Hourbeigt
Costumes Marie la Rocca
Perruques et Maquillages Cécile Kretschmar
Assistante dramaturge Franziska BaurCoproduction : Théâtre de la Porte Saint-Martin et le Théâtre des Nuages de neige
Durée : 2h
Théâtre de la Porte Saint-Martin
du 27 septembre au 31 décembre 2023
Du mercredi au vendredi 20h. Samedi 16h et 20h30. Dimanche 16h
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