Jamais donné en France et passionnément défendu par la cheffe Marta Gardolińska, l’unique opéra du compositeur polonais Ignacy Jan Paderewski a dévoilé un captivant discours musical et politique à l’Opéra national de Lorraine.
Manru a fait sa première française à l’Opéra de Nancy, un théâtre lyrique qui ambitionne de proposer à son public depuis plusieurs années un voyage musical européen à l’occasion duquel se défriche un répertoire largement méconnu. Pour preuve, la passionnante exhumation de Görge le rêveur de Zemlinsky en 2020. Créé au tout début du siècle dernier sur les scènes de Dresde puis de Lviv, l’œuvre de Paderewski a immédiatement connu le succès mais demeure désormais injustement ignorée. Son compositeur, un grand pianiste virtuose à son époque, s’est aussi illustré comme un acteur politique important dans l’indépendance et la reconstruction de son pays en 1918. Des valeurs profondément humanistes irriguent l’intrigue de sa pièce, notamment la dénonciation des relents xénophobes qui opposent deux communautés aux relations conflictuelles : le village des Tatras qu’a quitté par amour la jeune Ulana et le clan des tziganes duquel s’est échappé son aimé Manru, un homme épris de liberté et vivant de l’air du temps.
Musicalement, se laisse découvrir une partition au lyrisme généreux d’où émanent autant de douceur que d’ardeur. D’une véhémence éminemment wagnérienne, l’œuvre a pour motif central celui d’un philtre d’amour. Les rôles de premier plan tenus par le chœur et l’orchestre, son atmosphère envoûtant et ténébreux, enfin et surtout, son magnifique duo d’amour aux attraits tristaniens chantés par les deux amants et parias s’offrent comme des influences du compositeur allemand. D’autres inspirations d’ordre folklorique viennent émailler le drame. Un vibrant et languissant violon fait renaître chez Manru le goût du pays. Marta Gardolińska distille avec intensité les couleurs et la lumière de l’orchestre qu’elle dirige en exaltant une somptueuse et saisissante force émotionnelle.
Thomas Blondelle joue le rôle-titre plein de vigueur et de tourments. Habitué à des rôles redoutablement conséquents à l’image du Chercheur de trésors de Schreker à Strasbourg, il se fait un interprète toujours solide et sensible. La courageuse Ulana est remarquablement défendue par Gemma Summerfield dont la beauté du timbre et l’engagement dramatique bouleversent. Réunissant de fortes présences scéniques et vocales, l’ensemble de la distribution suscite l’admiration.
Dans un décor sombre et froid délimité par des cloisons en plexiglas placées sur une tournette, coexistent les deux mondes incompatibles des personnages centraux. Un terrain vague sur lequel se préparent une fête de mariage villageoise puis un campement bohème en contrepoint. Au centre, la cabane spartiate dans laquelle s’isole le couple maudit avec leur unique enfant est taguée de slogans haineux. La mise en scène contemporaine que signe Katharina Kastening restitue dans une veine assez essentialiste, entre prosaïsme et onirisme, les enjeux de l’œuvre et son universalité. Sa brutalité voire sa sauvagerie pourrait être nettement plus exploitée. Mais rien n’entame le pouvoir d’évocation, la violence et la passion de Manru, une pièce à découvrir et à ne plus délaisser.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Manru, opéra en trois actes
Créé à l’Opéra de Dresde, le 29 mai 1901
Production Opéra de Bühnen Halle, présentée en mars 2022
Coproduction Opéra national de Lorraine
Livret Alfred Nossig d’après le roman Die Hütte am Rand des Dorfes de Józef Ignacy Kraszewski
Musique Ignacy Jan Paderewski
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Lorraine
Chœur d’enfants du Conservatoire régional du Grand Nancy
Direction musicale Marta Gardolińska
Chef de chœur Guilaume Fauchère
Assistanat à la direction musicale William Le Sage
Mise en scène Katharina Kastening
Scénographie, costumes Gideon Davey
Lumières Nathalie Perrier
Chorégraphie David Laera
Dramaturgie Boris Kehrmann
Hedwig Janis Kelly
Ulana Gemma Summerfield
Manru Thomas Blondelle
Urok Gyula Nagy
Asa Lucie Peyramaure
Oros Tomasz Kumięga
Jagu Halidou Nombre
Jeunes paysannes Heera Bae*, Jue Zhang*
Voix des montagnes Yongwoo Jung*, Jue Zhang*
Fille d’Ulana et Manru Ariane Castell-Prono
Figurants Eric Bontemps, José-María Mantilla, Charles Philippot, Gilles Taillefer
*solistes du Chœur de l’Opéra national de LorraineOpéra national de Lorraine
mardi 9, vendredi 12, mardi 16 mai 2023 à 20h
dimanche 14 mai à 15h
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