À L’Échangeur, le dramaturge et metteur en scène imagine un dialogue entre le footballeur brésilien et son quasi-homonyme grec, sans parvenir à lui offrir une dimension suffisamment réflexive.
En cette soirée du 5 juillet 1982, Sócrates a le coeur lourd. Alors qu’un match nul aurait suffi à la Seleção pour poursuivre son aventure en demi-finale de la Coupe du monde de football, l’équipe brésilienne n’a pas pu résister à son amour du beau jeu, et s’est échinée à attaquer, envers et contre tout, y compris dans les toutes dernières minutes, jusqu’à s’incliner 3 buts à 2 face à une sélection italienne, volontiers gestionnaire et opportuniste, qui n’en demandait pas tant. Légende du ballon rond s’il en est, le capitaine des Brésiliens vit là l’une de ses pires défaites, qu’il rumine, aux abords du stade, après le match. Tandis que le joueur descend bière sur bière, qui reste, avec le tabac, son plaisir coupable et représente une forme de refuge, Frédéric Sonntag orchestre une rencontre avec son quasi-homonyme, le philosophe Socrate, bien décidé à passer la nuit à venir en compagnie du footballeur brésilien. Tel un accoucheur d’autrui, le penseur grec s’impose alors comme le sparring-partner de Sócrates, celui par qui une remise en perspective du déroulé de sa vie pourra, en théorie, advenir, et tente notamment, mais sans franchement y parvenir, de lui donner une forte dimension philosophique.
Car, dès son plus jeune âge, le joueur brésilien baigne dans la chose politique. Fils d’un fonctionnaire, engagé à gauche, dont la légende veut qu’il ait appelé ses trois premiers fils Sócrates, Sophocle et Sóstenes en hommage à La République de Platon, il a tout juste dix ans quand les militaires, à la faveur du coup d’État du 31 mars 1964, instaurent une dictature au Brésil et lorsqu’il voit son père, à la suite de cet événement, brûler l’essentiel des livres de sa bibliothèque, de peur d’être inquiété. Alors qu’il décide, quelques années plus tard, de prendre place sur les bancs de la fac de médecine de Ribeirao Preto, la ville où il a grandi, il intègre, en parallèle, « presque par coïncidence », affirme-t-il, le monde du football, d’abord au Botafogo-SP, puis, une fois son diplôme en poche, au SC Corinthians, un club où il passera près de six ans. C’est là que le « doctor Sócrates », un surnom qui résume bien son profil atypique, expérimente la « Démocratie Corinthiane », un système proche de l’autogestion où chaque joueur est invité à voter pour peser sur la vie quotidienne du collectif. Dans un Brésil sous dictature, l’initiative est vue d’un très mauvais oeil par la junte au pouvoir, mais celle-ci se révèle largement impuissante pour endiguer cette forme de contestation, d’autant que les résultats sportifs du club sont au rendez-vous.
Habitué aux épopées au carrefour des genres (B. Traven, D’autres mondes, L’Horizon des événements), Frédéric Sonntag livre ici une création moins ambitieuse, plus resserrée, sur cet homme hors du commun et sur son parcours pour le moins original. Là où les sportifs d’aujourd’hui, à quelques rares exceptions près, se tiennent bien souvent éloignés de la chose politique, de peur de s’y brûler, Sócrates prouve que les deux peuvent être intimement liés et que l’aura populaire de l’un peut nourrir la puissance de feu de l’autre. Au-delà de la mise en lumière de cette imbrication, qui relèvera de la découverte pour ceux, sans doute nombreux, qui ne connaîtraient pas sur le bout des doigts la vie du footballeur brésilien, le projet de Frédéric Sonntag atteint aussi une forme de pertinence dans sa façon de révéler les paradoxes d’un homme faillible, qui ne va pas tout à fait au bout de son combat et fuit vers l’Italie alors que la dictature militaire n’a pas encore rendu son dernier souffle au Brésil. Ce côté dual, autant que ses démons, Matthieu Marie, qui cultive sa ressemblance physique avec le joueur, l’incarne avec doigté et n’hésite pas, dans sa posture comme dans sa voix, à faire montre de ces fêlures.
Reste que, dans son ressort dramaturgique principal, cette rencontre entre Sócrates et Socrate qui devrait en constituer la clef de voûte, le spectacle achoppe. Tandis que Marc Berman, qui ne manque pas, à intervalles réguliers, de manger ses mots, ne réussit pas à donner un relief particulier au philosophe grec au-delà de l’image d’un pauvre type errant qu’on croirait tout droit sortie d’une vision nietzschéenne, Frédéric Sonntag échoue à en faire autre chose qu’un relanceur qui, au lieu d’ouvrir des débats d’idées féconds et tracer des perspectives philosophiques, se contente de donner le change à son quasi-homonyme brésilien. La réflexion sur les rapports entre démocratie et sport, sur les forces et les faiblesses du collectif ou encore sur les dangers de la démagogie peine alors à véritablement s’approfondir et le spectacle à se doter d’une dimension qui dépasserait son tropisme biographique auquel il est ancré et auquel, en première comme en seconde périodes, il ne cesse de revenir, jusqu’à donner à ce dialogue inattendu le goût, à la fois triste et amer, de l’artificialité.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Sócrates (gagner ou perdre mais toujours en démocratie)
Texte et mise en scène Frédéric Sonntag
Assistanat à la mise en scène Blaise Pettebone
Avec Marc Berman, Matthieu Marie
Création vidéo Thomas Rathier
Création musicale Paul Levis
Création lumière Manuel Desfeux
Scénographie Anouk Maugein assistée de Pauline Bergogne
Création costumes Hanna Sjödin
Maquilleuse / Coiffeuse Pauline BryProduction ASANISIMASA
Coproduction et résidences Théâtre Nouvelle Génération – CDN, Scène nationale d’Alençon-Flers-Mortagne-au-Perche, L’Échalier à Saint-Agil
Coproduction Théâtre du Champ au Roy à Guingamps
Résidences Points communs, scène nationale de Cergy-Pontoise, Oui! festival de théâtre en français de Barcelone, Théâtre de la Tempête, Théâtre Jacques Carat à Cachan
La compagnie fait partie du collectif d’artistes « Les Intrépides » de la Snat61, Scène nationale Alençon / Flers / Mortagne-au-Perche. Elle est conventionnée par la DRAC Île-de-France et la Région Île-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle.Durée : 1h15
Théâtre L’Échangeur, Bagnolet
du 12 au 20 décembre 2023Théâtre du Champ au Roy, Guingamp
le 11 janvier 2024La Paillette, Rennes
les 13 et 14 janvierThéâtre de Thouars
le 25 janvierThéâtre d’Aurillac, Scène conventionnée
le 1er févrierThéâtre de Brétigny, Scène conventionnée d’intérêt national arts et humanités
le 9 marsThéâtre Joliette-Minoterie, Marseille
du 13 au 15 marsPIVO, Scène conventionnée art en territoire
les 29 et 30 marsThéâtre du Cormier, Cormeilles-en-Parisis
le 2 avril
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