Deux sœurs, des animaux qui parlent, une maison à la campagne. Les Contes du chat perché résonnent à nouveau au Studio-Théâtre de la Comédie-Française avec Le Chien dans une mise en scène pleine d’allant signée à quatre mains par Véronique Vella et Raphaëlle Saudinos. Dans le rôle-titre, Nicolas Lormeau campe le meilleur ami de l’homme dans toute l’ambivalence du personnage imaginé par Marcel Aymé.
Et de trois ! Après Le Loup puis Le Cerf et le chien, la Comédie-Française complète son panorama des Contes du chat perché avec Le Chien qui vient clore un triptyque consacré à l’œuvre jeunesse de Marcel Aymé. A la mise en scène en binôme, Véronique Vella et Raphaëlle Saudinos, habituées à travailler en complicité, retrouvent avec ce même élan qui caractérisait les précédents, les héroïnes féminines de l’auteur du Passe- muraille, les fameuses Delphine et Marinette, leurs parents, le contexte rural où elles grandissent et bien entendu, les animaux parlants qui les entourent. Les petites ont mûri, elles arborent fièrement leur adolescence, sont en marche vers l’indépendance, délurées, confiantes et pleines de bon sens.
De retour du marché où elles sont allées seules faire les courses, un panier odorant de fraise de veau au bout des bras, elles croisent en chemin un chien aveugle et le prennent en pitié sans pour autant céder sur la viande qu’elles ont promis de rapporter pour le déjeuner. Comme tous les animaux peuplant les contes de Marcel Aymé, ce chien, certes amputé d’un sens primordial, n’en est pas moins doté de parole et il a la langue bien pendue. Il s’empresse de confier son histoire aux deux sœurs pleines d’empathie. Avant de vagabonder, l’estomac vide, sur les routes de campagne, le chien appartenait à un maître aveugle qu’il guidait avec ferveur. Mais celui-ci lui demanda si gentiment de “prendre son mal” que le chien finit par accepter. A peine le maître eut-il recouvré la vue qu’il abandonna l’animal à une errance obscure. Trahison et triste sort. Ni une ni deux, les filles le ramènent à la maison où la pauvre bête est adoptée sur le champ, y compris et contre toute attente par le chat qui s’y attache promptement.
On ne change pas une recette qui marche. Une fois de plus, le texte du conte est adapté à la lettre, les plages narratives et incises prises en charge en une alternance dynamique par les comédien.nes qui se partagent le récit en plus de leurs dialogues. Un parti pris fort qui mérite d’être souligné et affirme une fidélité pointilleuse au texte d’origine. De plus, les animaux, en l’occurrence ici le chien, le chat et la souris, sont interprétés sans jouer outre mesure sur l’imitation animale. A la verticale, dans des costumes aux touches évocatrices (une longue queue pour la souris, un béret aux oreilles pointues pour le chat, des jambières poilues pour le chien), les interprètes qui les incarnent évitent le gros écueil de la caricature et rendent grâce au caractère trempé de chacun. Personnages à part entière jouant un rôle de premier plan dans l’histoire, ils méritent effectivement une humanisation que le langage leur confère d’emblée.
Les costumes, pas toujours esthétiques mais néanmoins expressifs et ingénieux, dessinent des figures identifiables, brossent des personnalités marquées. Quant à la scénographie signée Eric Ruf, elle reprend des éléments des précédents spectacles, comme un palimpseste visuel, et propose plusieurs espaces de jeu à cheval entre l’intérieur et l’extérieur. A l’avant scène, le cocon de la maison, l’endroit où l’on se love pour se tenir chaud et ouvrir le grand livre des contes. En hauteur, le grenier est le territoire du chat, campé par un Jean Chevalier inénarrable qui fait mouche à tous les coups. Au centre, dans l’entre-deux, se tient le lieu de l’action, dans cette zone intermédiaire qui pourrait être la cour de la ferme, entre la serre, la grange et la remise au fond du jardin. Au loin, dans l’embrasure d’un décor en bois peint, le vaste monde, symbolisé par une trouée de ciel bleu au centre d’une couronne de verdure.
On entre dans ce spectacle rieur et mélancolique par la projection vidéo d’un joli court- métrage, sur fond de piano sautillant, des dessins signés et animés par Anne Kessler, par ailleurs membre de la troupe – dont on découvre avec admiration la patte graphique – et qui font le lien eux aussi avec les contes précédemment mis en scène. Avec Le Chien, on retrouve Delphine et Marinette en pleine adolescence, vives et perspicaces, aux prises avec des enjeux d’affirmation de soi qui résonnent pleinement avec notre époque. “Apprends à dire non pour savoir dire oui” scandent-elles en chœur et en chanson. Car ce spectacle est également éminemment musical, ponctué d’une batterie qui orchestre les émotions des personnages et rythme les saisons, parsemé de chansons délectables qui transforment le support littéraire en comédie-musicale par la grâce de couplets ajoutés signés Raphaëlle Saudinos sur une composition musicale originale de Vincent Leterme qui fait honneur au souffle jovial de l’ensemble. Adultes et enfants sont conquis par les talents d’une distribution au poil, réunie dans une merveilleuse choralité autour du bonheur de la transmission et de la mission du répertoire, du plaisir de jouer et chanter ensemble. Florence Viala en Delphine, Elsa Lepoivre en Marinette, mènent la danse avec ardeur et défendent haut et fort les valeurs de ce conte aussi tendre que trouble qui questionne avec intelligence les notions de fidélité, de bonté, de consentement et d’attachement. En parents aimants et s’aimant, Sylvia Bergé et Thierry Hancisse proposent une version réjouissante d’un couple dans la maturité de l’âge, encore amoureux et gonflé de désir l’un pour l’autre. Un couple uni et sain qui veille au grain et regarde grandir ses enfants avec sérénité.
Fruit d’un travail collaboratif admirable, Le Chien brille par l’appétit et la pulsion de vie qui le nourrit. En mettant en jeu les relations d’une famille de la campagne avec un bestiaire voisin, miroir des sentiments humains, en insufflant à son récit une poignée de magie, Marcel Aymé invite à la réflexion autant qu’il divertit, à penser le sens de nos actes et leurs conséquences. Et son histoire, en toute humilité, prend valeur de terreau propice à philosopher.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Le Chien. Les Contes du chat perché
de Marcel Aymé
mise en scène Raphaëlle Saudinos et Véronique Vella
Scénographie Éric Ruf
Costumes Siegrid Petit-Imbert
Lumières Denis Koransky
Animation graphique Anne Kessler
Musique originale Vincent Leterme
Couplets additionnels Raphaëlle Saudinos
Son Jean-Luc Ristord
Assistanat à la mise en scène Robin Ormond de l’académie de la Comédie-Française
Assistanat à la scénographie Adèle Collé
avec la troupe de la Comédie-Française : Véronique Vella, Thierry Hancisse, Sylvia Bergé, Florence Viala, Elsa Lepoivre, Nicolas Lormeau, Yoann Gasiorowski, Jean ChevalierDurée : 1h
A partir de 7 ansDu 23 mars au 7 mai 2023
Au Studio-Théâtre de la Comédie-Française
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