Ancien pensionnaire de la Comédie-Française, Félicien Juttner met en scène au Théâtre national de Nice, dans le cadre du Festival Trajectoires du Forum Jacques Prévert de Carros, La Loi du corps noir, sa première pièce, qui révèle un auteur d’une grande humanité.
Il vient d’incarner Géronte dans le Scapin mis en scène par Muriel Mayette-Holtz en janvier au Théâtre national de Nice. Les rôles se sont inversés. Muriel Mayette-Holtz est désormais sur la scène de la magnifique salle des Franciscains, dirigée par son ancien élève, dans sa première pièce, La Loi du corps noir. Un récit passionnant, une enquête policière doublée d’une tragédie sociale. Deux adolescents, de deux milieux différents, se rejettent la responsabilité de l’incendie de la bibliothèque de leur lycée. Félicien Juttner a eu l’idée de cette pièce alors qu’il était encore à la Comédie-Française. « Je l’ai écrite quand je n’y étais plus » explique l’auteur. « Quand je quittais la Comédie-Française tous les soirs dans le centre de Paris, en moto pour rejoindre le 93, je remarquais que dans le centre de Paris, toutes les fenêtres étaient globalement éteintes ou presque. Et plus je m’approchais de la banlieue, plus il y avait des lumières allumées sur les façades. C’est devenu le point de départ de l’inspiration de cette pièce. » Que se passe-t-il derrière ces fenêtres ? Dans ces familles ?
Dans cette pièce qui explore un genre difficile à aborder au théâtre, le polar, Félicien Juttner permet à chacun de livrer sa vérité. « J’ai écrit cette pièce il y a maintenant huit ans, au moment où Trump arrivait au pouvoir et où l’on commençait à se livrer une bataille sur la vérité, sur les faits, avec le fact-checking. Comme si, une fois que l’on avait trouvé une seule vérité cela mettrait un terme au débat. Et ça me semblait un peu étrange. J’ai donc choisi de traiter ce thème là. Je mène aussi l’enquête en écrivant sur ce que j’essaie de raconter, peut être sur la vérité.»
L’écriture de Félicien Juttner fait naviguer le spectateur d’une famille à l’autre grâce à une mise en scène, qui permet de zoomer sur les personnages, comme des gros plans cinématographiques. L’auteur s’interroge sur les conséquences du geste d’un adolescent, pouvant le faire tomber dans la délinquance. « Un enfant quelque part fait une bêtise, c’est le fait divers le plus répandu au monde. Sauf qu’on est à la croisée des chemins quand on est adolescent, et les adultes sont peut être capables de faire en sorte qu’une bêtise ne soit qu’une bêtise, ou alors qu’il soit un premier acte de délinquance. Les adultes ont une très grande responsabilité car les enfants, eux, feront toujours une bêtise ».
Félicien Juttner n’écrit pas tout, ne dit pas tout. Il laisse au spectateur le soin de compléter son texte. Les spectateurs sont invités à résoudre par eux-mêmes cette enquête policière, et se faire une idée sur la culpabilité de l’un ou l’autre des enfants. Le metteur en scène, l’auteur, qui est aussi comédien laisse ainsi à chacun des interprètes au plateau le soin d’occuper les silences de son texte. Un exercice parfaitement bien maitrisé par la distribution composée de Erwan Daouphars, Alexandre Diot-Tchéou, Simon Jacquard, Anne Loiret et Muriel Mayette-Holtz. « Je découvre l’auteur dramatique qu’il est. C’est un immense auteur, parce qu’il écrit en creux, parce qu’il écrit pour le jeu » explique la directrice du Théâtre national de Nice. Félicien Juttner entre par la grande porte dans le cercle des auteurs dramatiques avec cette pièce qui tient le spectateur en haleine de bout en bout. Elle n’est que la première d’une trilogie.
Stéphane Capron – www.sceneweb.fr
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