Nixon in China de John Adams fait une entrée spectaculaire au répertoire de l’Opéra de Paris sous la baguette inspirée de Gustavo Dudamel et dans une mise en scène très pertinente de Valentina Carrasco. Thomas Hampson et Renée Fleming y font leur come-back en couple présidentiel distingué.
Il faut saluer l’enthousiasmante décision prise par Alexander Neef de présenter, sur la scène de l’Opéra Bastille, Nixon in China, plus de trente ans après sa création mondiale, en 1987, au Grand Opera de Houston puis à la Brooklyn Academy of Music de New York, et sa première française donnée à la MC 93 de Bobigny dans la production originale signée Peter Sellars. Sans doute, Gustavo Dudamel n’est pas pour rien dans ce choix de programmation. L’actuel directeur musical de l’Opéra national de Paris a toujours passionnément défendu l’œuvre du compositeur américain qui demeure étonnamment un peu boudée en France. Pari réussi : Adams a été très justement acclamé par le public le soir de la première, tout comme l’ensemble de l’équipe artistique.
Les affinités de Dudamel avec la musique d’Adams se sont bien confirmées en fosse. Baguette acérée mais sans raideur, le chef a mis en évidence la filiation de la partition avec la musique minimaliste de Philip Glass dont Adams s’affranchira par la suite. Si les voix sonorisées parviennent parfois de manière lointaine ou étouffée, l’orchestre est quant à lui d’une merveilleuse luxuriance sonore. Il épouse la tonicité rythmique tantôt entêtante tantôt planante, donne du relief aux incandescentes volutes répétitives, aux jaillissements jazzys et paraphrases wagnériennes que contient l’ouvrage, autant d’éléments que Dudamel colore d’une force rayonnante et d’une expressivité qui palpite et déflagre jusqu’à transcender l’auditeur.
Œuvre pionnière ouvrant la voie au genre du docu-opéra, Nixon in China raconte la visite officielle du président Richard Nixon, son épouse Pat, et son ministre Henry Kissinger, dans la Chine communiste de Mao Zedong en 1972, un événement politique considéré comme un tournant dans les rapports sino‑américains en plein contexte de guerre froide. Sur un long tapis rouge, entre les flashs intempestifs et les micros insistants, s’avance en grande pompe mais sans excès de solennité le couple présidentiel auquel Thomas Hampson et Renée Fleming confèrent une classe folle. Le premier possède toujours un solide aplomb vocal et un charisme scénique fort éloquent, la seconde est dotée d’une voix onctueuse qui charme et caresse encore, y compris le légendaire dragon rouge tombé en pâmoison. Autre couple de taille : le jeune ténor John Matthew Myers fait un Mao très convaincant tandis que Kathleen Kim vocalise avec dextérité pour interpréter une Chiang Ch’ing très en verve.
Si Sellars optait à la création de l’ouvrage pour un réalisme allant jusqu’à reproduire sur scène le célèbre Air Force One au sortir duquel apparaissaient les Nixon ici, le Pygargue remplace l’avion. Ce rapace aux ailes gris métal semblant emprunté à un film de science-fiction symbolise l’hégémonie américaine tandis qu’un souple et sinueux dragon représente symboliquement le valeureux peuple chinois. A travers deux équipes de championnat de tennis de table, l’une rouge, l’autre bleue, formées par les excellents membres du Chœur de l’Opéra et de nombreux figurants, ce sont deux mondes, deux cultures, idéologiquement divergents, qui s’opposent et s’affrontent. En faisant du plateau de Bastille un vaste terrain de tournoi sportif, la metteuse en scène Valentina Carrasco renvoie à la « diplomatie du ping‑pong » et file la métaphore de manière opportune. Particulièrement riche d’un point de vue esthétique, dramaturgique, son travail aussi poétique que politique, fourmille de références culturelles à l’époque. Sa mise en scène assume un mélange de brutalité effroyable et de distance ironique bienvenue pour mettre en avant, à travers un trépident spectacle, la violence et la vanité du pouvoir.
Sur scène, révolution rime avec répression. Les gardes rouges dansent non sans désinvolture comme à Broadway, l’élite devise dans un vaste salon-bibliothèque, la vie locale s’affiche sous la forme d’un factice spectacle propagandiste. La persécution est à l’œuvre et s’incarne autour d’une figure pathétique : celle d’un violoniste emprisonné dans un sous-sol surchauffé où il est passé à tabac par la milice maoïste qui brûle aussi des piles entières de livres. On découvrira plus tard qu’il s’agit d’un professeur ayant réellement existé et exercé dans un conservatoire de musique fermé au début de la révolution culturelle. L’homme témoigne de la barbarie dont il a été victime dans le film documentaire From Mao to Mozart: Isaac Stern in China (De Mao à Mozart). D’autres documents d’archives nourrissent le propos du spectacle et font revivre intelligemment, loin de tout manichéisme, une époque pas si ancienne dont les préoccupations politiques et civilisationnelles demeurent pleinement actuelles.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Nixon in China
de John AdamsOpéra en trois actes (1987)
Livret
Alice GoodmanDirection musicale
Gustavo DudamelCheffe des Chœurs
Ching-Lien WuMise en scène
Valentina CarrascoDécors
Carles Berga
Peter Van PraetCostumes
Silvia AymoninoLumières
Peter Van PraetAvec
Zhou Enlai
Xiaomeng ZhangRichard Nixon
Thomas HampsonHenry Kissinger
Joshua BloomNancy Tang
Yajie ZhangMao Zedong
John Matthew MyersPat Nixon
Renée FlemingChiang Ch’ing
Kathleen KimLa deuxième secrétaire de Mao
Ning LiangLa troisième secrétaire de Mao
Emanuela PascuOrchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Nixon in China fait l’objet d’une captation produite par l’Opéra national de Paris, avec le soutien de la Fondation Orange, mécène des retransmissions audiovisuelles de l’Opéra national de Paris, et sera retransmis en direct le 7 avril 2023 sur la plateforme de l’Opéra « L’Opéra chez soi ».
Diffusion ultérieure sur France Musique à 20h dans le cadre de l’émission « Samedi à l’Opéra », présentée par Judith Chaine.
3h00 avec 1 entracte
Opéra Bastille
du 22 mars au 16 avril 2023
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