Avec son monologue tranchant, qu’elle joue jusqu’au 17 février aux Plateaux Sauvages à Paris, Sophie Desmarais incarne une femme désorientée face aux abîmes d’une identité flouée.
« Parfois, je me plante dans un miroir et j’articule : je suis une actrice, actrice, je suis une actrice. Une aphasique en rééducation. » Jodie Casterman est aussi une serveuse, une dog-sitteuse « pour cinq maîtres et maîtresses différents », une barmaid de nuit et une prof de biologie. Tous ces petits boulots lui permettent de survivre. Mais la mort imminente de son père adoptif vient ébranler ses certitudes. L’histoire qui l’a construite, celle grâce à laquelle elle s’est enracinée au monde, se révèle en réalité être une fiction.
Rescapée de la pandémie, The One Dollar Story est avant tout le fruit d’une rencontre à distance. Celle du metteur en scène français Roland Auzet et de la comédienne québécoise Sophie Desmarais. Les deux artistes ont travaillé ensemble par écrans interposés, donnant peu à peu corps au texte. Jouée au théâtre Prospero de Montréal entre mars et avril 2022, The One Dollar Story actionne son souffle tranchant en France, sur la scène des Plateaux Sauvages (Paris 20e) jusqu’au 17 février avant une tournée prévue en 2023 et 2024.
Seule sur scène, Sophie Desmarais fait corps avec le monologue sans jamais faiblir. Les mots claquent, cognent, explosent dans sa bouche. La vitalité de la comédienne emporte les spectateurs vers les limbes spirituelles de son personnage. « Dans la vie de n’importe qui plane une ombre plus grande que les autres. La Grande Ombre. Qui dicte sa loi. Qui tient dans le poing deux brides de cuir noir, comme les cochers jadis, et quand Elle tire, on sent la tension au niveau des mâchoires ». Jodie Casterman ploie sous les mensonges de son histoire. Désorientée par les fondations brinquebalantes de son être, elle se lance dans une quête de sens et de soi avec pour boussole un énigmatique billet d’un dollar, la menant de l’Oregon au Colorado. L’immensité des grands espaces, symboles d’une liberté infinie, se heurte à la cruauté du réel : les choix ont toujours des conséquences. Et Jodie en est une victime désarçonnée.
La scène est aussi désordonnée que son esprit. En un battement de cil, le contenu du frigo vol en éclat, se déversant sur le sol immaculé. La couleur fait alors irruption dans cet écrin opalin. Sophie Desmarais courre, saute, marche jusqu’à achopper son corps contre les cloisons blanches ou le mobilier en aluminium. Son personnage se confronte ainsi à son histoire et les parts de mystère qui la jalonnent.
Seule ombre au tableau : les références à l’Amérique des années 1970 qui affluent dans cette pièce signée Fabrice Melquiot, frôlant parfois l’indigestion. Le débit mitraillette de Sophie Desmarais, alternant anglais et français au rythme d’une formule 1, fait prendre le risque de laisser le spectateur sur le bas-côté de la route. Mais les répliques cinglantes et l’humour caustique de l’auteur raccrochent les wagons à la locomotive. Au fil de la pièce, le voyage devient aussi sensoriel. La musique, les vidéos et la respiration de la comédienne, audible grâce au micro, rythment l’intrigue. Avec puissance, Jodie Casterman nous livre les affres de son existence dans lesquels elle se noie. Et nous plonge au passage dans cette déflagration identitaire sidérante.
Kilian Orain – www.sceneweb.fr
The one dollar story
Texte Fabrice Melquiot
Mise en scène Roland Auzet
Avec Sophie Desmarais
Voix Pascale Bussières
Musique Roland Auzet et Victor Pavel
Scénographie Roland Auzet et Cédric Delorme-Bouchard
Lumières Cédric Delorme-Bouchard
Vidéo Pierre Laniel
Intégration sonore Bernard Grenon
Costumes Sophie El Assaad
Assistance à la mise en scène Valery Drapeau, Sandy Caron
Régie Sandy Caron
Coproduction Act Opus, compagnie Roland Auzet, Le Groupe de la Veillée, Montréal, le Théâtre, scène nationale de Saint Nazaire
Création du 22 mars au 16 avril 2022 Théâtre Prospero, Montréal
Les Plateaux Sauvages, Paris, jusqu’au 17 février 2023
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